lambda 7.04
15 Sept 2001
Par J. Thorel
Mise à jour 16/09/01


sommaire

Attentats USA
+ La techno-surveillance élevée en rempart au terrorisme
+ Conséquences probables dans l'UE
+ L'échec du renseignement technologique?

+ Dossier Echelon bouclé au Parlement européen

Court-circuits

LSI-jolie

>> MISE A JOUR 7/10/2001
Dommages collatéraux - lambda 7.05

Un site d'information et de résistance vient d'ouvrir ses portes cette semaine sur les dispositions "crypto" de la LSI. L'état de guerre qui s'installe dans le monde occidental suite aux attentats du 11 septembre risque d'éclipser les bénéfices du chiffrement pour le citoyen et la démocratie, pour mettre en cause avant tout son usage possible par les groupes terroristes.

Débats, informations, actions : http://www.lsijolie.net/
Dispositions crypto de la LSI: l'éclairage de OpenPGP en Francais : http://www.geocities.com/openpgp/

UPDATE Phil Zimmermann: "Ne donnons pas aux terroristes une seconde victoire" (16/9/01)

Le père de PGP répond à notre confrère français Futures sur les nombreux appels formulés aux Etats-Unis, suite aux attentats du 11 septembre, visant à interdire tout logiciel de chiffrement s'il ne dispose pas de backdoor pour la police.

Autre débat à suivre : la réforme de la CNIL placée sous l'ombre du fichier Stic. Le 18 juillet le projet de loi de réforme de la loi de 1978 est passée en Conseil des ministres (avec 3 ans de retard). Premier constat : les fichiers administratifs seront soumis à un avis favorable de la CNIL *sauf* dans le cas des fichiers dits de "souveraineté", c'est à dire impliquant la défense, la sécurité intérieure et l'ordre public. Projet en débat au Parlement cet automne.

Article du 18/7: http://news.zdnet.fr/cgi-bin/fr/printer_friendly.cgi?id=2091559

 

La techno-surveillance élevée en rempart au terrorisme

 

Paris, 16 sept 2001. -- Depuis que le Congrès US a passé jeudi le "Combating Terrorism Act of 2001", la liste Politech du journaliste de Washington Declan McCullagh (Wired) crépite d'heure en heure. Entre l'interdiction du chiffrement pour tous et les comptes anonymes, le monitoring des logs sans mandat, tout y passe - la lutte contre le terrorisme a toujours déclenché des attaques en règles contre les nouveaux réseaux. Les auditions du procès ben Laden, déjà jugé l'an dernier par contumace aux USA, ressortent au grand jour, pour affirmer que le groupe utiliserait régulièrement le camouflage numérique (stéganographie) pour préparer ses actions.

Interdire la crypto forte? Des sénateurs ont avancé cet argument massue: sans backdoor, tout logiciel de chiffrement devrait être hors-la-loi. Phil Zimmermann, interrogé par le magazine Futur(e)s, n'en démort pas: "Cela reviendrait à fouiller chaque personne sur cette planète pour trouver LE type qui cache un cutter dans sa poche. Et je ne crois pas que les groupes terroristes seraient assez stupides pour utiliser des logiciels modifiés de cette façon. Il leur suffirait d'utiliser un autre programme ne disposant pas de "backdoor". Et ce n'est pas en modifiant chaque version de PGP qu'on réglera le problème. D'autres logiciels existent. Le seul résultat d'une telle mesure serait d'affaiblir un peu plus la confidentialité des données du citoyen de base."

Le témoignage le plus virulent contre l'internet est venu d'un éditorialiste conservateur (Keegan dans le Daily Telegraph), qui prétend que les attentats de mardi "ont été préparé sur l'internet, sans aucun doute". "Si Washington est sérieux dans sa détermination à éliminer le terrorisme, les USA devront interdire les opérateurs internet de transmettre des messages chiffrés - codées par des algorithmes indéchiffrables par les ordinateurs de la NSA - et fermer d'office tout opérateur qui refuserait de s'y conformer. (...) Les opérateurs étrangers qui refusent ce principe devraient s'attendre à ce que leurs bâtiments soient détruits par des missiles de croisière (sic...). Puisque l'internet est impliqué dans l'assassinat d'Américains, on doit reconnaître que ses jours sont comptés."

En détail et en VO:


"There are other current movements of which to take note, as yet insubstantial but certain to gather concrete form. One is the retreat of human rights lawyers from the forefront of public life. America in a war mood will have no truck with tender concern for constitutional safeguards of the liberty of its enemies. The other, which ordinary Americans will have to learn to bear, is interference with their liberty of instant electronic access to friends and services.

"The World Trade Centre outrage was co-ordinated on the internet, without question. If Washington is serious in its determination to eliminate terrorism, it will have to forbid internet providers to allow the transmission of encrypted messages - now encoded by public key ciphers that are unbreakable even by the National Security Agency's computers - and close down any provider that refuses to comply.

"Uncompliant providers on foreign territory should expect their buildings to be destroyed by cruise missiles. Once the internet is implicated in the killing of Americans, its high-rolling days may be reckoned to be over."

 

Concrètement, le CTA 2001 élargit les compétences du FBI à surveiller le trafic internet des abonnés. Le sniffer Carnivore (DCS1000) prend réellement du service : si le contenu des messages reste officiellement soumis à un mandat d'écoute, ce n'est plus le cas des données de connexion, de correspondances ("to" et "from"), de consultation (noms de forums, sites web visités, etc.). Même le très sécuritaire Stewart Baker, ancien juriste à la NSA, convient que ce type ce données "sont des informations bien plus intimes que les numéros de téléphones que je compose" (Politech, 14/9).

En Europe, c'est précisément ce type de mesures qui sont revendiquées avec insistence par les experts "ENFOPOL" du Conseil de l'UE. La volonté des députés européens de modérer leur ardeur aura plus de mal à s'imposer devant la situation de guerre qui s'amorce (lire plus loin).

Avec ces "terroristes au cutter", on pensait que l'on arrêterait un instant de nous chauffer les oreilles avec la version "cyber" du terrorisme. Et pourtant, le mag online Computerworld raconte qu'une réunion spéciale du NIPC, la cellule de veille informatique du FBI, s'est tenue le 12 septembre à DC. Les officiels sont persuadés que les crash suicides contre le WTC et le Pentagone ne sont que les prémices d'autres attaques à venir, "une vague d'assauts qui pourrait inclure des actions de cyberterrorisme".

Le Lt-général retraité de l'Air Force Al Edmonds, ancien chef de la division Defense Information Systems du Pentagone, a l'air sûr de lui: "I would suspect a cyberattack could be next, and that would be absolutely paralyzing." Conditionnel de rigueur.

Autre tendance à laquelle les citoyens américains ne sont pas prêt d'échapper : la frénésie techno-sécuritaire, notamment dans les aéroports et les lieux publics. Les technologies biométriques ont du mal à percer à cause de la parano du flicage généralisé, mais Cnet raconte comment les événements du 11 septembre vont aider les Américains à mieux accepter une surveillance à la Big Brother. Les caméras couplées à des outils de reconnaissance faciale, inaugurées en Floride récemment, ont toutes les chances d'être imposées avec plus d'ardeur aux Etats-Unis et chez leurs alliés.

 

+ Interview de Phil Zimmermann par Futures (www.futur-e-s.com)

+ Débat sur le CTA 2001 (www.politechbot.com)

+ Extraits édito du Telegraph

+ Wired sur le CTA et la crypto sous surveillance (14/9)

+ Rappel du procès bin Laden et la stéganographie (Bug Brother, fev. 2001):

+ Cyber-terreur (Computerworld)

+ Biométrie et caméras (Cnet)

 

Conséquences dans l'UE

ENFOPOL a le vent en poupe

 

En Europe, l'état de guerre qui s'installe risque d'entraver considérablement les efforts des députés européens pour que les données de connexion (internet mais aussi cellulaires) restent anonymes par principe, en tous cas en l'absence de saisie judiciaire.

Le 6 septembre, le Parlement rejetait la directive "communications électroniques" amendée fin juin par le Conseil des 15, dans laquelle les policiers du groupe Enfopol réclamaient l'abolition du principe d'anonymat pour conserver les traces de connexion pour une durée de 12 mois minimum. Ce sont ces principes qui ont été votées en urgence le 13 septembre par le Congrès américain (CTA 2001).

Mais pour l'instant, les députés ont choisi le principe contraire, pour reprendre les termes du rapport Cappato (commission des libertés) qui rétabli le principe d'anonymat dans la directive:

"Ces mesures doivent être tout à fait exceptionnelles, fondées sur une loi précise qui soit compréhensible du grand public et autorisées par les autorités judiciaires ou compétentes dans des cas particuliers.En vertu de la Convention européenne des droits de l'homme et conformément aux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme, toute forme de surveillance électronique générale ou exploratoire pratiquée à grande échelle est interdite."

Il faut donc s'attendre à ce que les députés soient sous pression pour s'aligner sur leurs collègues américains. Les éditorialistes pourront toujours réclamer le bombardement du Parlement de Strasbourg...

Le traité anti-cybercrime en préparation au Conseil de l'Europe risque lui aussi d'en être affecté. Le 6 septembre, les eurodéputés ont encore tenu à noter leur différence, dans une résolution très modérée... Mais c'était avant le 11 septembre.

Transfert résume le fond de la pensée des députés, des principes qui paraîtront très courageux (voire "irresponsables"...) dans les semaines qui vont suivre : le Parlement tient à rappeler l'indispensable équilibre "entre la nécessité de faire respecter la loi et celle de préserver les droits fondamentaux et les libertés des citoyens". A propos des fameux logs, "il ne doit pas être établi de principe général de conservation des données". Et à propos du droit de cacher ses correspondances, "nul ne peut être contraint de se mettre en cause en révélant des codes ou des programmes de cryptage". L'auto-incrimination d'un suspect est en effet un principe démocratique de base. En France le projet LSI prévoit dès maintenant qu'un complice doit collaborer en déchiffrant les messages dont il possède la clé, sinon il risque 3 ans de prison et 45000 Euros d'amende; en cas de refus "alors qu'il est possible de limiter les effets du crime", c'est 5 ans et 75000 Euros.

 

+ Les députés contre la conservation des logs: http://fr.news.yahoo.com/010910/166/1q6no.html

+ Recommendation du PE sur le traité cybercrime: doc A5-0284/2001 du 6/09/01

 

 

L'échec du renseignement technologique?

 

L'apparente apathie des services secrets américains a également alimenté les commentaires, le pays de la NSA et du réseau Echelon n'ayant pas été en mesure de détecter une attaque d'une telle envergure. Christian Harbulot, grand prophète de l'intelligence économique et directeur de l'École de guerre économique (EGE), y voit "la fin du mythe du renseignement technologique".

"Combien d'experts avons-nous entendu, au cours de ces dernières années, chanter les louanges de la prédominance du renseignement technologique sur le renseignement humain," écrit-il dans une tribune libre parue le 13 septembre. "Les satellites, l'informatique, le traçage sur le net étaient présentés comme les armes absolues pour détecter les menaces militaires, politiques et économiques. Il a fallu la détermination de quelques fanatiques, artisanalement armés si l'on en croit les premiers témoignages (couteaux et cutters), et parfaitement bien organisés pour déstabiliser l'un des centres nerveux de l'économie mondiale."

D'autres experts refusent d'être aussi radical : les signes avant-coureurs, il y en a des milliers par jour. Le problème ne viendrait pas des outils ou des moyens technologiques, mais plutôt de l'interprétation humaine qui en a été faite. Et puis c'est peut-être aussi une question de mentalité : les deux Twin Towers laminées, le Pentagone éventré, l'apocalypse à Manhattan - non, même les officiers de renseignement n'y ont pas cru, c'était trop gros.

Apres tout, les fameux terroristes ont peut-être même réussi à berner les grandes oreilles US. C'est la version du sénateur républicain Orrin Hatch, qui a avancé une telle hypothèse au Seattle Times: "des communications interceptées par les services américains ... lieraient le milliardaire saoudien [ben Laden] aux attentats. ... Deux officiels américains auraient fait état d'autres télécommunications, interceptées précédemment, indiquant que Ben Laden planifiait effectivement des opérations contre les USA... mais à l'étranger. Suivant une tactique déjà utilisée par le chef de l'État libyen Kadhafi et par le Hezbollah, qui savaient leurs télécommunications surveillées, les terroristes auraient ainsi volontairement induit en erreur les "grandes oreilles" américaines. Afin de focaliser l'attention des autorités américaines sur des objectifs extra-territoriaux" (transfert.net, 12/9).

 

+ Tribune de Christian Harbulot (Zdnet, 13/9)

+ Analyse sur les grandes oreilles (Zdnet, 12/9)

+ Transfert du 12/9

+ Article du Seattle Times


 

Echelon bouclé, députés divisés

Echelon, il en était question une dernière fois le 5 septembre devant le Parlement européen au grand complet. Avant l'été début juillet Les députés membres de la commission d'enquête n'avaient pas pu vraiment s'entendre sur le fond - et la manière de condamner les Etats, maîtres d'oeuvre ou complices, de telles violations délibérées du droit communautaire - avant l'été, en votant le rapport Schmid et la résolution qui va avec.

A ce sujet, quatre pays européens ripostent, rappelle Transfert, en rendant public un vaste projet de "système global d'observation par satellites", dixit le ministère français de la défense le 7 septembre. Un programme réunissant le France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie -- dont les déjà fameux satellites Helios font partie - déjà évoqués dans le lambda à propos de "Frenchelon". Pour une fois, le ministère fait preuve de clarté : avant, on ne parlait que d'"observation" (pour prévenir les conflits), maintenant on reconnaît que ce programme sera aussi destiné pour des missions "d'écoute électronique, d'alerte avancée et de surveillance de l'espace".

+ Vote sur le rapport Echelon (Zdnet 5/9)

+ Les députés divisés (Zdnet 6/7)

+ Communiqué du ministère de la Défense (7/9)

 


Chine le point sur la net repression, mise à jour de la 1ère édition du 7.04: lambda 7.05


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