© D. R. - Raytheon
Présentés pendant la guerre du Golfe de 1991 comme des remparts infaillibles contre les Scud de Saddam Hussein, les missiles Patriot américains se sont en fait plutôt gauffrés... Autopsie d'une grande manipulation. Histoire de prévoir celles qui nous attendent après le remake de décembre 98 et du nouveau bombardement américain sur Bagdad...
Tout le monde se souvient de la superproduction Tempête du Désert, c'était au début de l'hiver 1991, le recours à la force pour éjecter Saddam Hussein du Koweit occupé. Du côté des armes lourdes, il y avait, dans les rôles principaux:
Patriot PAC-2 |
Scud al-Hussein | |
D'après les chiffres officiels données par le QG allié en 1991, au total 80 Scud al-Hussein ont été lancés du 18 janvier au 26 février (42 vers l'Arabie Saoudite, 38 vers Israël). Seuls 47 ont été pris en chasse par les Patriot (les autres ont été jugés "hors de danger des populations"). Face à ces 47 Scud, 159 Patriot ont été lancés à leurs trousses.
Juste après la guerre, en mars 91, le Pentagone annonce que l'opération Patriot s'est soldée par "une réussite de 96%". Ce qui voudrait dire que sur 45 des 47 "engagements", l'engin anti-missile a atteint son objectif.
Un an plus tard - merci à la Constitution américaine - le Congrès décide de vérifier tout ça et cherche à recouper les données avancées par l'armée US. Le General Accounting Office (GAO), une sorte de Cour des Comptes fédérale qui dépend des parlementaires, est mise à contribution au début de l'année 1992. Le 7 avril la Chambre des Représentants (Legislation and National Security Subcommittee, Committee on Government Operations) réalise une longue série d'auditions d'experts américains et israéliens. On en tire au final une liste détaillée des mensonges flagrants ou de la nature non concluante des preuves apportées par le Pentagone dans son assertion de réussite militaire. Car le terme "succès" employé par le Pentagone ne veut pas forcement dire que l'ogive du Scud a été détruite - c'est pourtant la mission principale d'une arme anti-missile.
A l'époque de notre enquête pour Actuel, fin 1992, nous avions pu avoir accès, via des experts français de la Fondation pour les études de défense nationale, aux documents à charge du dossier Patriot. Parmi ceux-ci:
La Chambre va sortir de brèves conclusions de ces auditions que avons retrouvé sur l'internet. Les parlementaires résument la grande volte-face du Pentagone dans ses affirmations de succès: "les affirmations officielles du nombre de Scud détruits par les missiles Patriot vont de 100% pendant la guerre à 96% dans une audition devant le Congrès après la guerre, puis de 80% voire 70% plus tard, et, dernièrement [avril 1992], jusqu'au chiffre de 52%, tout en précisant ne disposer d'une grande confiance seulement dans 25% des ogives de Scud pris pour cible par les Patriot".
Les contre-vérifications effectuées lors des auditions permettent de préciser que seulement 9% des engagements se sont "très probablement" conclu par une destruction d'ogive. Et que le "succès" ne peut être avéré que sur un seul des 47 engagements. Illustration flagrante de ces mensonges à répétition: la nuit du 18 janvier 1991 (premier jour du conflit).
17 janvier 91: début du conflit. Le lendemain, l'Irak ouvre
le feu avec 7 Scud lancés sur Israël et un vers Dhahran, le
QG allié en Arabie Saoudite. Dixit le général Schwarzkopf,
le chef militaire américain, devant son écran video en pleine
conférence de presse ce 18 janvier: &laqno;Ce Scud a été
détruit par un missile Patriot».
Faux, selon une révélation du quotidien israélien Jerusalem Post en octobre 1992: ce missile n'a jamais existé. Le journal s'est procuré des données provenant de satellites de surveillance "qui couvrent tout le Moyen-Orient". &laqno;Ces satellites, qui font partie du Programme américain de Défense, détectent, à l'aide de capteurs infrarouges, les flammes et les gaz qui se dégagent des fusées, et transmettent à leur tour des signaux d'alerte aux troupes américaines et aux batteries de Patriot. Or, le 18 janvier, lessatellites ont bien repéré 7 Scud irakiens en route vers Israël, mais pas un seul Scud lancé en direction de Dhahran». Le Pentagone n'a jamais voulu s'exprimer sur cette information, se réfugiant, précise le Post, derrière le sceau du secret militaire.
La société Raytheon reproduit sur son site une animation dont seulement une image est extraite ci-dessus à droite. C'est le même type d'image qui a été montrée aux journalistes le 18 janvier : des images d'archives...
Preuve des doutes permanents qui planent sur les affirmations de l'armée, Steven Hildreth, du Congressionnal Research Service (cité plus haut), met en doute dans son témoignage les preuves apportées par l'armée à plus de 50 reprises (nous en avons compté 53 exactement), avec des doutes comme "the data used by the army raised many questions...", "high confidence was scarce...", "reliabiility of the data is not high enough...").
Richard Davis, le représentant du GAO, a lui épluché un à un les documents officiels des forces armées alliées (les spreadsheets) publiées au jour le jour et censées faire le bilan de ce qui s'est passé dans le ciel. "Par exemple, dit-il, à plusieurs reprises les officiers chargés des Patriot ont compté plus de destruction d'ogives de Scud qu'il n'y a eu de missiles lancés..." A d'autres reprises, aucune correspondance n'a pu être établie entre les notes des spreadsheets et les enregistrements radars.
Inutile de rappeler que ces données furent précisemment les principales sources de la presse mondiale pendant le conflit...
Dans la nuit du 25 au 26 janvier, 7 Scud foncent vers Israël et se déchirent en vol. Pas moins de 27 Patriot seront lachés. Aucun n'atteindra d'ogives ennemies, mais certains s'écraseront dans des habitations.
En fait, si certains Scud al-Hussein se sont désintégrés en plein vol, c'est qu'ils ont été victimes du bricolage maison qui visait à augmenter le rayon d'action des Scud soviétiques. Reuven Pedatzur, l'expert militaire israélien consulté par la Chambre, a raconté comment certains de ces débris ont complètement affolé les Patriot, incapables de différencier la "tête" du Scud d'un fragment de métal.
Pedatzur raconte aussi ces missiles dopés se sont très souvent neutralisé tous seuls. La trop grande poussée a eu pour effet de bloquer leurs systèmes de mise à feu, empêchant la tête d'exploser au sol. C'est ce qui s'est passé au moins une fois à Tel Aviv, ou un al-Hussein a touché un immeuble sans exploser.
Richard Davis du GAO a remarqué que lespreuves de destruction de Scud se basaient trop souvent sur des photographies non sourcées et sur des témoignages de personnel des batteries de Patriot, et non de vérifications sur place ou d'images preuves radars. "Par exemple, lesdates de deux événements ont été inversées et une photo décrivant une ogive de Scud neutralisée par un Patriot décrivait en fait le réservoir d'essence du Scud."
Bilan final: échec militaire (imaginez s'il y avait eu des
têtes chmiques sur les Scud, ne parlons pas d'une menace nucléaire),
le Patriot est tout de même devenu le porte-drapeaux d'une victoire
psychologique. C'est l'avis du Major Général Avihu Ben-Nun,
l'officier israélien qui supervisait les batteries de Patriot installées
dans l'État hébreux: "[Le Major] pense que le rapport
concluant à un succès des Patriot pendant la guerre -- alors
même que ses auteurs savaient qu'ils se trompaient -- doit être
placé dans un contexte de guerre psychologique", a témoigné
Reuven Pedatzur devant le Congrès.
Les Irakiens savaient aussi qu'en augmentant le rayon d'action les Scud ne pourraient pas être prècis. Ils s'en sont servi aussi comme arme psychologique, en sachant que le simple fait de les lancer en direction d'Israël -- menace chimique oblige -- installerait la terreur.
Raytheon a du faire évoluer très vite son joujou: juste
un an après le conflit naissait la version PAC-3 du Patriot, qui
a ainsi pu bénéficier d'un terrain d'expérimentation
inespéré... Pendant ce temps, Saddam Hussein a soigné
son oeil au beurre noir et restait encore, en cette fin d'année 1998,
tranquillement installé dans son fauteuil.
Lire aussi:
- Un dossier
spécial de la chaîne PBS, revenue casser le mythe en 1995.
- La réponse outrée du groupe
Raytheon qui tente de nuancer les conclusions