L'Allemagne avait ouvert le feu en décembre, certes dans d'autres proportions. La décision précipitée de CompuServe de couper plus de 200 groupes, après des "recommendations" faites par le procureur de Bavière (lire bulletin 1.10), l'ensemble des abonnées mondiaux ont vu disparaitre tout ce qui avait du 'sex', 'gay' ou 'erotic', donc sans aucun rapport avec le but recherché : lutter contre la propagande pédophile. Récemment, le procureur de Mannheim a contraint le service T-Online de Deutsche Telekom (1 million d'abonnés) à bloquer toute connection avec une société d'hébergement de pages web de Santa Cruz. Motif : l'une des pages, parmi les 1500 autres, pronait des théories négationnistes sur l'Holocauste. Le Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles avait déjà prié tous les fournisseurs de censurer tout accès à des sites pronant ces thèses révisionnistes. En France et en Allemagne, la propagande pour le révisionnisme et la pédophilie sont des activités illégales : loi Gayssot contre l'incitation à la haine raciale, et aux articles 224-23 et 224-24 du code pénal sur la protection des mineurs.
Au Royaume-Uni, des fournisseurs d'accès viennent de demander au gouvernement de clarifier leur statut légal quant au contenu des informations qu'ils relayent. Et aux Etats-Unis, la Communications Decency Act vient de passer haut la main au Congrès, le 2 février. Ce qui rend les fameux "relayeurs" d'info responsables de leur contenu (250.000$ et 2 ans de prison).
Selon un des avocats attitrés de France Télécom, c'est indéniable : les fournisseurs d'accès devront être un jour pénalement responsable de ce qu'ils diffusent. Mais comme en Allemagne, c'est loin d'être fait. Les fournisseurs n'ont jamais été (encore) considérés responsables du contenu des infos qu'ils font transiter dans leurs tuyaux. Benveniste : "Nous risquons tout de même d'être accusé de complicité en relayant des thèses illégales, alors nous avons fait en sorte d'éviter ce risque".
"Couper l'accès à des groupes néo-nazi ou pédophiles ne peut pas s'appeler de la censure, j'en conviens", réagit Yannis Delmas, porte-parole de l'association Gays & Lesbiennes branchés. "Mais la pédophilie devient facilement un prétexte pour s'attaquer à d'autres restrictions, par exemple en direction des homosexuels. Censure ou pas, quand on commence à mettre le doigt dans l'engrenage, on ne sait plus quand s'arrêter..."
Ethique responsable? Mesurette politiquement correct? Benveniste l'avoue : couper ne sert à rien pour l'utilisateur puisqu'il peut se connecter ailleurs. Si le fournisseur doit se dédouaner, alors quid es groupes "alt.drugs"? Ils tombent aussi sous le coup de la loi, non? Le serveur minitel du CIRC, dédié à l'information sur le cannabis, s'est fait décablé l'an dernier pour "incitation à l'usage de stupéfiants". Mais que fait l'AFPI? Ne craint-elle pas d'être accusée d'encourager les jeunes à la débauche? il y a des ethiques porteuses... Quant à laisser une partie de la responsabilité aux parents en encourageant des systèmes autonomes de filtrages et d'autocensure (comme NetShepherd), ce n'est pas encore au programme des festivités AFPIstes. François Benveniste ignorait tout simplement l'existence de ces outils. Jouer au Grand Frère, ça vous occupe un max...
Craig Johnson, modérateur de la liste "cyber-rights" de l'organisation CPSR, vient de publier trois inquiétants papiers écrits dans les coulisses du Capitol, qui révèlent l'esprit tordu de la CDA, la série d'amendements qui interdisent la diffusion de contenus "indécents". Une représentante (D) du Colorado, Pat Schroeder, a mis les pieds dans le plat en insinuant que "derrière la façace de la criminalisation de l'obscénité, la loi contient (...) des règles intolérables concernant l'expression sur l'avortement". La suite est un peu compliquée, mais en votant la Telco Act le Congrès a également modifié une série de petits textes, comme la section 1462 du titre 18 du Criminal Code américain (un peu comme notre code pénal?..). Cet article interdit toute propagande pour l'avortement, et le terme de "services informatiques interactifs" a été rajouté à la liste des supports de diffusion.
Pas de panique, juristes consciencieux : l'avortement est légal aux Etats-Unis, et en discuter n'est plus un crime. Quoique. Ce n'est plus un crime depuis l'affaire Roe contre Wade, jugée par la Cour Suprême en 1976 et qui rétablie le droit au "choix" -- allusion au camps Pro Choice -- et dépénalise l'IVG. D'ailleurs, dans le camps archi-majoritaire des députés favorables à la loi sur l'indécence, on s'est empressé de dire que ces mesures -- anticonstitutionnelles donc -- feraient l'objet d'une "modification technique".
Mais d'autres juristes près de leurs textes soulignent le contraire : Simon Heller, l'avocat d'un groupe Pro-Choice, affirme que cet extrait du code criminal n'a jamais été, en lui-même, invalidé par une cour. Pire encore : en votant le Jeudi 2 la Telco Act (et haut la main : 414/16 à la Chambre et 91/5 au Sénat), le Congrès a donné une nouvelle légitimité à ces mesures archaiques, qui ont d'ailleurs été appliquées la dernière fois en 1919. Conséquence : la Cour Suprême devra se prononcer à nouveau pour les invalider. Conséquence aussi : si un petit groupe facho porte plainte parce que tel site web ou tel groupe de news discute de la RU-486, ces services seront coupés jusqu'à la décision de la Cour Suprême. Et pendant plusieurs mois, en appliquant la loi, des milliers de services pourront être coupés dans l'allégresse générale. Et 90% des parlementaires américains ont voté ces dispositions. Ils n'ont pas relu, ça doit être surement ça.
Enquêtes originales :
Craig Johnson (The American Reporter, Wired), pourra vous faire suivre le message originel qui m'a mis la puce à l'oreille.
Todd Lappin (Wired) y a fait une étude détaillé destextes impliqués.
Cyber-Rights mailing list : listserv@cpsr.org, et "help" dans le sujet, ou "subsribe cyber-rights".
Vous avez noté que l'EFF vient de lancer sa campagne Blue Ribbon contre la censure online. Certes, c'est une autre forme d'action politiquement correct...
"Acces universel gratuit ou à un coût très modéré;
Liberté d'expression pour promouvoir l'échange et la connaissance sans crainte de représailles;
Liberté d'expression sans censure;
Acces libre à une large distribution;
Acces universel et égalitaire pour tous à la connaissance et à l'information;
L'idée de chacun reconnue selon ses mérites;
Accès non limité à la lecture, à la diffusion et à la contribution de chacun;
Egalité dans la qualité de la connection;
Egalité dans le temps de connection;
Aucun porte-parole officiel;
(...)
N'accepter aucun profit tirée d'une contribution d'autrui;
Protection de la cause publique à l'égard de ceux qui l'utiliserait à des fins pécunières;
Le Net n'est pas un service, c'est un droit. Il est valable seulement quant il est collectif et universel. (...)"
Inspiré notamment de : "Thomas Paine, Declaration of Independence (1776), Declaration of the Rights of Man and of the Citizen (1789), NSF Accep able Use Policy, Jean Jacques Rousseau, and the current cry for democracy worldwide."