lambda 4.01
23 mars 1998
LA LOUPE : chercher dans les archives du bulletin

SHORT CUTS

PETIT CONCOURS ENTRE AMIS

"... Mais la transparence du serveur [web] de la Défense s'arrêtera aux portes de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, les services secrets français) qui resteront closes."
Commentaire de l'Agence France Presse (28 fev. 98) suite au lancement de la vitrine de l'armée française. Des volontaires pour forcer le coffre-fort? http://www.defense.gouv.fr

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"Nous n'avons aucune bonne raison de créer de nouveaux droits de l'intimité. La plupart des firmes privées qui collectent de l'information sur leurs clients le font juste pour vendre plus de produits. Ce n'est pas un motivation nuisible. Il n' y a rien à craindre dans le développement des banques de données commerciales."
Point de vue angélique de Solveig Singleton, le directeur des études du très influent Cato Institute ("Privacy As Censorship. A Skeptical View of Proposals to Regulate Privacy in the Private Sector." http://www.cato.org/pubs/pas/pa-295es.html


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le

dilemme du

bibliothécaire

 

La bibliothèque publique d'information (BPI) du centre Beaubourg, comme une petite centaine de ses cousines en France, a très vite considéré que sa mission de diffusion des connaissances la poussait tout naturellement à ouvrir des accès publics à l'internet. Un bibliothécaire a l'habitude de trier, de hiérarchiser et de filtrer. Alors va-t-il mettre un entennoir à la sorte des tuyaux de données? Non, pas question pour l'instant. Mais la BPI s'est renseigné sur le moyen de pouvoir, à terme, effectuer un contrôle passif sur les adresses consultées par les utilisateurs.

La BPI a travaillé avec une société d'ingénierie lilloise, Archimed, spécialisée dans l'intégration de systèmes internes. Depuis 96 Archimed s'est fait un nom dans l'installation de l'IEAK, pour Internet Explorer Administration Kit. Ce dérivé du logiciel de Microsoft permet de personnaliser ses tables de paramètres de manière à fabriquer sa propre "liste noire" d'adresses web ou d'autres machines du réseau qui seront interdites de consultation à partir du réseau local. Un responsable d'Archimed, interrogé début mars, a reconnu que parmi les quelque 500 licences d'IEAK vendues depuis plus de deux ans, une quarantaine concerne des bibliothèques.

Ce petit outil semble brûler les doigts. A la BPI, il n'a jamais été utilisé pour filtrer, nous apprends Philippe Guillerme, coordinateur technique des accès à la BPI. "Nous avons la licence, nous savons comment fonctionne IEAK. Mais nous n'avons jamais activé ses fonctions de filtrage. Pour l'instant, nous parions sur l'autodiscipline des utilisateurs. Quant au problème de fond [filtrer les adresses], c'est totalement contraire à la philosophie de la maison..."

Pourtant la profession a de quoi s'en préoccuper. Qui dit filtrage, dit PICS (PICS Rules 1.1), la norme du consortium W3 qui rendra le contrôle passif du contenu totalement transparent. Une éventualité qui fait frémir la coalition procitoyenne GILC : "Si les règles PICS sont adoptées, les gens se verront privé d'information sans même savoir qu'ils ont été débranchés. ... C'est contraire à la Déclaration universelle des droits de l'homme."

Or cette norme est unanimement reconnue dans la majeure partie des cercles de pouvoirs en Europe. Aux États-Unis la bibliothèque a été la première cible des pressions partisanes pour filtrer les accès publics avec des logiciels préprogrammés qui interdisent les sites non appropriés aux enfants. Une loi cherche même à poser les mêmes contraintes aux bibliothèques qu'aux écoles (lire ci-contre). En France, le débat ne perce pas. Rappelons que les logiciels de "contrôle parental" -- Cyber Patrol est l'une des rares versions françaises -- sont cités au détour de la loi de réglementation des télécoms de 1996, comme quoi les fournisseurs d'accès doivent les mettre à disposition de leurs abonnés.

Il y a certes des nuances dans le "filtrage". PICS s'installe côté serveur, et côté client les listes noires de mot clés sont autrement plus aveugle qu'une solution du type d'IEAK, puisque les liens interdits sont gérés par l'administrateur local, et non choisis arbitrairement par une société privée plus préoccupée de son image de marque que des libertés publiques (lire l'affaire Peacefire, dans le lambda 2.13, de décembre 96).

Il est bon de rappeler qu'en France, le personnel interne du ministère de la Culture bénéficie depuis près de deux ans de ce filtrage sélectif. C'est le miracle du "serveur cache": il capture les fichiers les plus fréquentés, établie des priorités, et au final économise de la bande passante. Au passage, l'administration de la rue de Valois a décidé de filtrer les accès selon des listes noires, en achetant les services d'une société pas vraiment agréée par l'Académie française: son logiciel (Webtrack) doit être régulièrement reprogrammé pour qu'il ne censure pas l'accès à des sites aussi dangereux que celui... du journal Elle.
 

Proxy et caprices politiques

Dans la tourmente, les bibliothèques françaises adoptent une attitude encore pragmatique (lire en détail plus loin), mais ne sont pas à l'abri des pressions politiques -- que la tutelle soit municipale, nationale ou universitaire. quelles soient universitaires ou municipales. En théorie et selon les usages, le "gardien des livres" est théoriquement maître à bord pour décider de sa politique de diffusion du savoir. Mais l'autorité de tutelle peut être tenté d'y mettre son nez.

Les pressions politiques qui iraient jusqu'à exiger un filtrage sélectif des accès ne sont pas à exclure, reconnaît Claudine Belayche, la présidente de l'Association des bibliothécaires français. Elle exerce à Angers dans un établissement municipal. Et à ce niveau, la politique de l'établissement "peut se décider aussi en étroite collaboration avec les élus". Et de rappeler l'exemple du maire Front national d'Orange, qui n'a pas hésité l'an dernier à refuser des ouvrages et à imposer des auteurs surtout connus pour leurs positions révisionnistes et ultra-nationales.

Les universités ont été depuis l'été dernier l'objet de conciliabules et de déclarations intempestives d'officiels du ministère de l'éducation et de la recherche. Il devenait "intolérable", aux yeux de certains, que les étudiants aient accès à des ressources "non académiques". Terreau du débat : un projet de serveur cache national pour tenter de mieux rationaliser le trafic de Renater, le réseau informatique des établissement publics. Un projet se dessinait entre le CNRS et l'université pour leurs besoins de recherche. Certains agents zélés, au CNRS comme à la DSTB, la direction des technologies nouvelles du ministère, ont alors pensé que ce proxy géant pourrait aussi servir à faire le ménage dans les contenus... "Il ne faut pas que l'université se transforme en cybercafé géant"... Cela faisait plutôt mauvais genre, au moment ou le grand patron Claude Allègre annonçait son vaste plan de connexion des écoles, de restrindre l'accès popur les étudiants! Bilan des courses: un agent de la DSTB a du faire ses valises récemment, suite semble-t'il à ses prises de positions hasardeuses.

Le projet de cache s'est resserré autour du CNRS et des seules universités (via leurs deux unités réseaux, l'UREC et le CRU). Précision d'emblée du CRU: les autres "clients" de Renater ne sont en rien concernés; pas question de faire autre chose que du contrôle de débit et de flux. "Nous allons juste donner des priorités [aux données], mais aucune ressource ne sera censurée... On a beau le répéter, on continuera à nous traiter de censeur. C'est pas grave, on a l'habitude," lance, amer, Jean-Paul Le Guigné, chargé de valider le projet au CRU. Quant à savoir quelle sera la politique de gestion des accès dans les établissements scolaires, la question n'a pas encore été tranchée en haut lieu. Les rectorats devraient conserver leur pouvoir de tutelle, en devenant l'entonnoir central de tous les accès.

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l'université de Franche-Comté épure ses tuyaux

La menace qui plane sur les bibliothèques est de loin la plus dangereuse pour les libertés publiques. En témoignent les affaires qui secouent la communauté bibliothécaire américaine, comme nos témoignages reccueillis en France (lire ci-contre).

"Au nom d'un risque hypothétique (qu'un jeune se trouve placé face à une image pornographique sur un écran d'une bibliothèque), on risque de bloquer des informations et de limiter l'impact de l'internet sur la création et la diffusion de documents", résume Hervé Le Crosnier, animateur de Biblio.fr, ancien bibliothécaire, maître de conférences à l'université de Caen. Il a adressé ces mots en dé"cembre dernier au Conseil national des bibliothèques.

"Toute codification est sujette à interprétation ..., alors que la déontologie des officines de codification n'est pas établie. ... Il n'y aura pas de solution technologique à ce problème de comportement social. Nous pouvons a contrario favoriser l'utilisation de l'internet comme ressource de documents en valorisant certaines informations. La promotion de sites culturellement et socialement utiles va réduire la place des sites malsains par étouffement : il y a tant de choses intéressantes !"

 états-unis

PRO-FILTERS vs PRO-CHOICE

 

Des échos venus de Californie, l'été dernier, ont relevé les manoeuvres d'un pseudogroupe de protection de l'enfance (KIDS, Keep the Internet Decent and Safe), qui a manifesté devant la bibliothèque de Gilroy (36000 habitants), Santa Clara County. Ils ont défilé à la manière des groupes pro-life anti-avortement : pancartes et affiches dénonçant l'internet comme un océan de dépravation.

Malgré la pression, l'équivalent du conseil municipal du comté de Santa Clara a refusé d'imposer la censure aveugle des filtres automatiques dans les bibliothèques du comté. Selon le témoignage d'un bibliothécaire de la Gilroy Public Library, reccueilli par le lambda en novembre 97, le lobby a tout de même réussi à faire mouche dans les comtés de San Bruno et Kern, toujours en Californie, comme en Floride, dans l'Ohio, en Virginie ainsi qu'à New York ou Boston. La puissante association des libertés civiles (ACLU), qui a déjà mis à genoux le fameux Decency Act de 1996, a pris pour cible la décision du comté de Kern en menaçant d'attaquer en justice. A Kern les notables ont fait marche arrière du bout des doigts: il y aura deux ordinateurs connectés dans les bibliothèques, l'un doté de filtres et l'autre pas.

Le mois dernier le Sénat US s'emparait de l'affaire au nom de la protection de l'enfance dans tous les lieux publics éducatifs, en débatant du projet de loi de John McCain (Internet School Filtering Act), qui menace de bloquer les subventions si le chef d'établissement n'installe pas des "filtres logiciels" pour bloquer tout site "inapproprié aux mineurs". L'American Library Association a protesté contre les risques d'atteinte à la liberté d'information dans des lieux publics ouverts à tous. L'EPIC s'est associé à la plainte -- le groupe a déjà montré l'extrême imprécision des logiciels de censure sélective dans son étude Faulty Filters.

Pour conclure le débat côté américain, citons deux études réalisées sur le vif sur les réalités pratiques d'installer de telles moulinettes dans les bibliothèques.

>>>> The Internet Filter Assessment Project , réalisé entre avril et septembre 1997, par une ancienne bibliothécaire de l'université d'Illinois / Urbana Champaign, Karen Schneider, avec l'aide d'une douzaine d'établissements.

>>>> Un autre travail sérieux sur la question a été conduit par le Markkula Center for Applied Ethics, Santa Clara University, durant l'été 97. Étude commandée par les bibliothécaire de Californie, Santa Clara County Library System.

>>>> L'avis d'un professionnel qui revendique le filtrage.

france

PRAGMATISME ET CENSURE DE PROXIMITE

D'après notre enquête et grâce à des témoignages reçus par la liste de diffusion Biblio.fr, il n'apparaît pas que les établissements aient pris des mesures concrètes de sélection "politique" des accès. La préoccupation des établissements est d'abord de protéger les disques durs des disquettes vérolées. Parfois, après des incidents ou par manque d'encadrement, certaines ont tout de même coupé les accès aux news, aux protocole FTP ou telnet -- ce qui pose problèmes pour accéder à de nombreux répertoires bibliographiques.

Très bonne politique d'ouverture à la BDF, la grande maison de Tolbiac:

"Ici il y a une quinzaine de postes connectés en accès libre [formation comprise, pour les lecteurs payants], par cession maximum de 45 minutes", indique la responsable. "Nous avons créés notre catalogue thématique des ressources web, ce qui laisse peu d'occasion aux gens de glaner. Il n'y a pas vraiment de contrôle des consultations. Il se fait par l'environnement : le lieu encourage un usage sérieux..."

Même son de cloche à la médiathèque d'Issy les Moulineaux (un seul poste en libre accès depuis octobre 97): "Nous avons contruit notre sélection thématique du contenu en ligne. Mais rien n'est fermé. Nous incitons à profiter de la richesse des resources, et pas à interdire quoi que ce soit."

Reccueilli dans biblio.fr:

>> A Lisieux (accès public depuis fin 96), "L'usager n'est pas limité dans le choix des sites qu'il souhaite consulter. (...) Il est averti toutefois que le personnel de la bibliothèque se réserve le droit d'interrompre toute consultation de sites dont le contenu serait incompatible avec les missions d'une bibliothèque publique. (...)"

>> A l'IEP de Lyon (accès ouvert dès 93), on sait que "les solutions techniques pour limiter les usages et/ou les accès sont vaines (...), tous les étudiants doivent signer une charte d'utilisation du réseau dans laquelle ils s'engagent a respecter les lois en vigueur et à n'utiliser le réseau que dans le cadre de leurs études. La consultation à partir des machines dans l'université et l'utilisation de leur messagerie sont exclusivement liées à leurs activités pédagogiques. (...)"

>> A la médiathèques de Gravelines, on se permet une petite gâterie: "Le choix de consultation est libre avec une réserve pour les enfants, notre fournisseur d'accès permet plusieurs types d'utilisateurs nous avons donc paramétré un menu "moins de 14 ans" ce qui verrouille certains accès, les enfants passant par un menu spécial ont un choix d'adresses présélectionnées dont ils ne peuvent sortir. (...)"