Surveillance Connection

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netizen 1.09 - 21 dec 1995
NOTE :
- Se reporter au rapport original, publié en anglais par Privacy International.
- Le listing complet des sociétés, pays par pays. ATTENTION : le fichier est lourd, 280 Ko. Vérifier la mémoire de votre browser.
Lire aussi les brèves de ce numéro.
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Morpho Systèmes s'est fait un nom dans le traitement et l'analyse des fichiers d'empreintes digitales. Ses deux produits phares de reconnaissance et d'identification de suspects (AFR, AFIS) étaient en vedette sur le stand Sagem, la maison mère, lors du dernier salon Milipol du Bourget, le temple de la sécurité militaire et policière. Morpho fait la joie des services français, comme dans 10 Etats américains ("pourrait convaincre le FBI", dit la pub), en Allemagne, chez les Anglais, etc. L'exportation étant le signe du rayonnement, l'Indonésie, dès 1989, le Koweit et les Emirats Arabes Unis ensuite ont profité de la "division navigation et défense" du groupe Sagem.

Reste que le fichage des suspects n'a pas la même saveur dans nos contrés que dans les pays en développement. Est-il utile de rappeler que les polices indonésiennes font la guerre depuis des années à une petite presqu'ile située à l'extrême Est du pays, Timor, ex-colonie portugaise annexée par Suharto en 1973, annexion reconnue par aucun état souverain. Guerre parfois sauvage, relisez les rapports d'Amnesty ou d'Human Rights Watch. Le Koweit, après l'agression irakienne, a replongé dans sa névrose anti étrangère, la main d'oeuvre philippine et palestinienne n'ayant pas vraiment les mêmes droits. Et les Emirats ont prouvé leur grand sens de la Justice avec l'affaire de Sarah récemment. La Sagem ne fait que son métier, rien n'est illégal bien sûr. Et puis elle a la bénédiction de la CNIL...

L'utilisation des systèmes de surveillance électronique à des fins d'oppression politique est sans doute l'un des commerces les plus juteux et les plus indolores pour ses promoteurs. C'est ce qu'a voulu dénoncer l'organisation Privacy international dans un volumineux rapport, intitulé "Big Brother Incorporated", sur les fabricants occidentaux impliqués dans ce sympathique trafic d'armes. Armes aux multiples facettes : interceptions de communications, téléphone, fax, données informatiques; écoutes par ondes radio, par spectre électromagnétique; caméras infrarouges, à intensification de lumière, au sol ou embarquées sur hélicos; logiciels de transcription automatique, de gestion d'empreintes, de portraits robots et de photos; tracking de véhicules; traitement, analyses géographiques et de mouvements de foules, etc.

Le Royaume-Uni remporte la palme avec plus de 80 sociétés listées. En Chine, Plessey (racheté par l'allemand Siemens) a fourni le système SCOOT de surveillance de trafic qui ont permis de coincer les activistes lors des manifs de Tienanmen. Les flics chinois se fournissent aussi chez Plessey Telecom (autocoms), chez EEV, filiale de GEC, pour tout l'équipement de vision nocturne, PK Electronic dans les systèmes d'écoutes, etc. On retrouve à peu près les mêmes comme fournisseurs des pays du Golfe et de l'Indonésie aux côtés de Morpho Systèmes. ICL avait ouvert le bal en Afrique du Sud, en fournissant, avant l'embargo commercial, le système d'identification qui devint un des piliers technologiques de l'Apartheid. Security Systems International a fourni l'essentiel des instruments d'oppression du régime d'Idi Amin en Ouganda. Privacy raconte que l'israélien Tadiram a servi aux brigades de la mort du Guatemala pour ficher les opposants.

Une quinzaine de boites françaises sont citées. Il existe peu de détails sur les pays destinataires de leurs bonnes oeuvres, mais ils sont passés par le filtre d'une liste d'exportateurs de la Chambre de Commerce et d'Industrie. Alcatel et sa filiale Radio Space Défense pour la gamme de surveillance télécom, la Cofrexport dans l'espionnage radio à distance, Data Mast pour la vidéo surveillance, jusqu'à L'Autentique (sic), une petite boite parisienne experte dans l'artillerie policière, de la surveillance héliportée aux matraques anti-manifs. L'expertise de Matra Communication et les radars du groupe Thomson sont curieusement absent de la liste.

Privacy rappelle que 70% des sociétés de surveillance appartiennent au clan des vendeurs d'armes "létales". En 1994, un consortium de géants des télécoms, le GIIC, s'est proclamé le porte-parole d'une non-régulation du marché, le libre-échange restant la clé de la croissance du marché. Paradoxal en effet que nous réclamions chez nous une dérégulation des inforoutes pour protéger nos libertés individuelles et nos petites vies privées d'occidentaux, alors que cette logique, prévient Simon Davies, juriste britannique et directeur de Privacy International, risque d'inciter à la vente sauvage de ces technologies dans les pays d'oppression. Ce qui risque de restreindre la liberté de ceux qui en sont déjà privés.

Enfin, le rapport incite les employés d'autres sociétés impliquées dans ce funeste commerce à venir alimenter la base de données, grâce à cette adresse. "Ce ne sera pas une incitation à la délation gratuite, promet David Banisar, activiste de l'EPIC, le groupe américain affilié à Privacy et co-auteur du rapport. Les infos seront minutieusement vérifiées."


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