Helen & Dave
vs
Ronald McDonald's

Helen Steel, barmaid, 31 ans, et Dave Morris, ancien facteur sans emploi, 42 ans, face à l'emblème débilisante du géant du fast-food américain
© Picture: Nick Cobbing for McLibel

 

Deux activistes londoniens s'attaquent au géant du Big Mac. McDonald's les traîne en justice pour diffamation. Le procès-marathon s'est achevé en 1997. McDo a gagné en partie, mais les militants ont retranscrit jour par jour les compte-rendu d'audience pour les placer sur le net jusqu'au verdict, donnant un éclairage implacable sur les méthodes de management douteuses et les dessous peu glorieux de toute une industrie.



Par Pierre-Olivier Chanez et Jerome Thorel
Article paru dans Planète Internet n°14, décembre 1996.

Lire aussi nos entretiens croisés, McDonald's UK contre la McLibel Support Campaign


L'Internet va-t-il nous donner toutes les bonnes raisons pour boycotter McDo? En tous cas, Ronald McDonald's, le clown-mascotte de la multinationale, a de quoi faire dans son froc : un site Web géant, McSpotlight, relate avec parcimonie ce qui est devenu le plus long procès de toute l'histoire britannique. Un procès qui, même avant d'être achevé, n'a pas fini d'ébranler la belle image du Big Mac.

L'affaire commence en 1986, quand cinq activistes anglais de London-Greenpeace (un des groupes originels mais sans aucun lien avec Greenpeace International) distribuent des tracts (ci-contre) pour dénoncer les "ravages" écolo-économiques de la firme de Chicago. Leur pamphlet titrait "Qu'est-ce qui cloche chez MacDonald's? - Tout ce qu'ils ne veulent pas que vous sachiez" (What's Wrong with McDonald's? en V.O. - lire la VF, quoique édulcorée). Le document originel, objet du litige, dresse avec arrogance la liste des "8 cancers" de la multinationale (illustrés plus loin).

Résultat : MacDo les attaque pour diffamation en 1990, après avoir tout fait pour "s'arranger" en coulisses et éviter le procès -- des détectives payés par BigMac ont même été envoyés pour infiltrer les réunions de Greenpeace (ce qui sera prouvé lors du procès). Il faudra ensuite quatre ans de tractations et de procédures pour que s'ouvre la première audience, en juin 1994.

Entre temps, trois des cinq plaignants anglais se dégonflent, et seuls Helen Steel, actuellement barmaid, 31 ans, et Dave Morris, ancien facteur sans emploi, 42 ans, continuent la lutte du pot de terre contre le pot de fer : 7000 livres de revenus annuels à eux deux, contre un chiffre d'affaires annuel de 30 milliards de dollars.

Qui joue au bras de fer? Il s'agit de "gauchistes" écolos anglais - les pires -, qui s'attaquent au n°1 du fast-food américain et universel. Robin des bois contre l'Oncle Sam, les "bio" contre la "bouffe industrielle", les "syndicalistes" contre les "exploiteurs".

Mais c'est surtout le droit de critiquer les multinationales qui est en jeu. Cette affaire a ouvert sa quatrième session le 21 octobre dernier. Avec 292 jours cumulés depuis début novembre (1), c'est devenu le plus long procès de toute l'histoire de la justice britannique. "Pour McDonald's, l'affaire ne devait durer que 3 à 4 semaines, mais finalement le procès ne se terminera qu'au début de 1997", jubile le collectif McLibel Support Campaign, le groupe de volontaires qui soutient les deux activistes (lire aussi nos entretiens croisés sur cette affaire). Par "McLibel", comprenez quelque chose comme McAlomnie ou McDiffamation (2).

Le site web McSpotlight possède des miroirs dans trois continents. Si l'on en croit la carte de l'arborescence HTML du site, les ressources sont digne d'un 36 tonnes. Il y a même des ressources en RealAudio.

Et en face? Sur le site officiel de McDo? Néant. Nada. Rien sur l'affaire en question. On reste dans la monotonie du serveur coloré pour faire rêver les enfants -- comme on peut le voir ci-contre. Pourquoi? "C'est illégal au Royaume-Uni de commenter un procès en cours", nous glisse Mickael Love (sic), le porte-parole de la communication de la filiale McDonald's UK (lire aussi l'entretien complet). Attention, précise également les volontaires, "le fait de répéter ces accusations pourrait même envoyer en prison ceux qui défendent Helen Steel et Dave Morris." Et pourtant! Ils les répètent, les accusations. Mais à mots couverts. Les ramifications mondiales du site, prouvent que ce collectif composé d'"Activists from around the world", ne sont pas des amateurs. Les sept tares qu'ils affublent au système McDo -- résumées dans le tract d'origine, voir la traduction en français -- sont savamment ressassés au fil des milliers de liens hypertextes qui agrémentent le site.

Le site recense aussi les organisations qui les soutiennent à l'étranger. Rien sur la France - où ils recherchent d'ailleurs des volontaires. N'importe qui en France critique McDo - y compris l'auteur de ces lignes -, mais de là à les boycotter... Faudrait voir à recruter dans le Sud: pendant l'été 1996, les Basques ont fait sauter un McDo comme symbole de l'impérialisme plutôt qu'une banque ou une mairie. Cet été aussi, les proprios d'un terrain de St-Cyr-Les-Lecques (Var), ont fait passer une annonce dans Var-Matin pour s'excuser: on leur avait dit que le terrain servirait à la construction d'un nouveau parking, mais c'est un McDrive qui s'est installé. Ils en avait marre de se faire insulter -- d'où leurs excuses dans le "canard" local.

Mais le reproche numéro 1 reste "l'impérialisme économique", le fait d'obliger les pays pauvres à produire de la nourriture pour bétail riche, et de ce fait, "la plupart des Noirs restent pauvres et affamés alors que de nombreux Blancs deviennent obèses". Mêmes les écolos ont leurs clichés: pourquoi "blancs" et "noirs"? C'est une question de développement, semble-t-il. Pas de couleur de peau. Finalement, dans la FAQ (foire aux questions), la question essentielle a été posée: "Vous pensez vraiment que vous pouvez faire fermer McDonald's?" Réponse: "Nous n'avons pas créé McSpotlight [dans ce but] (driving McDonald's out of business)." Il faut, disent-ils, que les clients fassent preuve d'un "consumérisme éthique" et que "les multinationales fonctionnent plus proprement au lieu de laisser leurs services de presse travestir la réalité."

Pour tester vos connaissances et devenir un anti-McDo en puissance, rendez-vous au McQuizz...


P.-O. C., J. T. (décembre 1996)

A LIRE >> nos entretiens croisées - McDo contre la McLibel Support Campaign.

 

(1) MISE A JOUR:
Le procès depuis est arrivé à son terme, en juin 1997. Le tribunal a reconnu le caractère diffamatoire des tracts de L-Greenpeace, mais seulement sur certains points (les passages sur l'exploitation commerciale des enfants, la souffrance des animaux et la qualité sanitaire des produits ayant été jugé plutôt conforme à la réalité...).

LE VERDICT EN LIGNE:
http://www.mcspotlight.org/case/trial/verdict/verdict0_sum.html

(2) Le mot "Libelle" est peu usité en français, mais le dico en parle comme un "petit écrit satirique à caractère diffamatoire".


lambda / arQuemuse
decembre 96 - reedition septembre 98
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