Helen Steel, barmaid, 31 ans, et Dave Morris, ancien
facteur sans emploi, 42 ans, face à l'emblème débilisante
du géant du fast-food américain
© Picture: Nick Cobbing for McLibel
Deux activistes londoniens s'attaquent au géant du Big
Mac. McDonald's les traîne en justice pour diffamation. Le procès-marathon
s'est achevé en 1997. McDo a gagné en partie, mais les militants
ont retranscrit jour par jour les compte-rendu d'audience pour les placer
sur le net jusqu'au verdict, donnant un éclairage implacable sur
les méthodes de management douteuses et les dessous peu glorieux
de toute une industrie.
Lire aussi nos entretiens
croisés, McDonald's UK contre la
McLibel Support Campaign
L'Internet va-t-il nous donner toutes les bonnes raisons pour boycotter McDo? En tous cas, Ronald McDonald's, le clown-mascotte de la multinationale, a de quoi faire dans son froc : un site Web géant, McSpotlight, relate avec parcimonie ce qui est devenu le plus long procès de toute l'histoire britannique. Un procès qui, même avant d'être achevé, n'a pas fini d'ébranler la belle image du Big Mac.
L'affaire commence en 1986, quand cinq activistes anglais de London-Greenpeace (un des groupes originels mais sans aucun lien avec Greenpeace International) distribuent des tracts (ci-contre) pour dénoncer les "ravages" écolo-économiques de la firme de Chicago. Leur pamphlet titrait "Qu'est-ce qui cloche chez MacDonald's? - Tout ce qu'ils ne veulent pas que vous sachiez" (What's Wrong with McDonald's? en V.O. - lire la VF, quoique édulcorée). Le document originel, objet du litige, dresse avec arrogance la liste des "8 cancers" de la multinationale (illustrés plus loin).
Résultat : MacDo les attaque pour diffamation en 1990, après avoir tout fait pour "s'arranger" en coulisses et éviter le procès -- des détectives payés par BigMac ont même été envoyés pour infiltrer les réunions de Greenpeace (ce qui sera prouvé lors du procès). Il faudra ensuite quatre ans de tractations et de procédures pour que s'ouvre la première audience, en juin 1994.
Entre temps, trois des cinq plaignants anglais se dégonflent, et seuls Helen Steel, actuellement barmaid, 31 ans, et Dave Morris, ancien facteur sans emploi, 42 ans, continuent la lutte du pot de terre contre le pot de fer : 7000 livres de revenus annuels à eux deux, contre un chiffre d'affaires annuel de 30 milliards de dollars.
Qui joue au bras de fer? Il s'agit de "gauchistes" écolos anglais - les pires -, qui s'attaquent au n°1 du fast-food américain et universel. Robin des bois contre l'Oncle Sam, les "bio" contre la "bouffe industrielle", les "syndicalistes" contre les "exploiteurs".
Mais c'est surtout le droit de critiquer les
multinationales qui est en jeu. Cette affaire a ouvert sa quatrième
session le 21 octobre dernier. Avec 292 jours cumulés depuis début
novembre (1), c'est devenu le plus long procès
de toute l'histoire de la justice britannique. "Pour McDonald's, l'affaire
ne devait durer que 3 à 4 semaines, mais finalement le procès
ne se terminera qu'au début de 1997", jubile le collectif McLibel
Support Campaign, le groupe de volontaires qui soutient les deux activistes
(lire aussi nos entretiens croisés
sur cette affaire). Par "McLibel", comprenez quelque chose comme
McAlomnie ou McDiffamation (2).
Le site web McSpotlight possède des miroirs dans trois continents. Si l'on en croit la carte de l'arborescence HTML du site, les ressources sont digne d'un 36 tonnes. Il y a même des ressources en RealAudio.
Et en face? Sur le site officiel de McDo? Néant. Nada. Rien sur l'affaire
en question. On reste dans la monotonie du serveur coloré pour faire
rêver les enfants -- comme on peut le voir ci-contre. Pourquoi? "C'est
illégal au Royaume-Uni de commenter un procès en cours",
nous glisse Mickael Love (sic), le porte-parole de la communication de la
filiale McDonald's UK (lire aussi l'entretien complet). Attention, précise
également les volontaires, "le fait de répéter
ces accusations pourrait même envoyer en prison ceux qui défendent
Helen Steel et Dave Morris." Et pourtant! Ils les répètent,
les accusations. Mais à mots couverts. Les ramifications mondiales
du site, prouvent que ce collectif composé d'"Activists from
around the world", ne sont pas des amateurs. Les sept tares qu'ils
affublent au système McDo -- résumées dans le tract
d'origine, voir la
traduction en français -- sont savamment ressassés au
fil des milliers de liens hypertextes qui agrémentent le site.
Le site recense aussi les organisations qui les soutiennent à l'étranger. Rien sur la France - où ils recherchent d'ailleurs des volontaires. N'importe qui en France critique McDo - y compris l'auteur de ces lignes -, mais de là à les boycotter... Faudrait voir à recruter dans le Sud: pendant l'été 1996, les Basques ont fait sauter un McDo comme symbole de l'impérialisme plutôt qu'une banque ou une mairie. Cet été aussi, les proprios d'un terrain de St-Cyr-Les-Lecques (Var), ont fait passer une annonce dans Var-Matin pour s'excuser: on leur avait dit que le terrain servirait à la construction d'un nouveau parking, mais c'est un McDrive qui s'est installé. Ils en avait marre de se faire insulter -- d'où leurs excuses dans le "canard" local.
Mais le reproche numéro 1 reste "l'impérialisme
économique", le fait d'obliger les pays pauvres à produire
de la nourriture pour bétail riche, et de ce fait, "la plupart
des Noirs restent pauvres et affamés alors que de nombreux Blancs
deviennent obèses". Mêmes les écolos ont leurs
clichés: pourquoi "blancs" et "noirs"? C'est
une question de développement, semble-t-il. Pas de couleur de peau.
Finalement, dans la FAQ (foire aux questions), la question essentielle a été
posée: "Vous pensez vraiment que vous pouvez faire fermer McDonald's?"
Réponse: "Nous n'avons pas créé McSpotlight [dans
ce but] (driving McDonald's out of business)." Il faut, disent-ils,
que les clients fassent preuve d'un "consumérisme éthique"
et que "les multinationales fonctionnent plus proprement au lieu de
laisser leurs services de presse travestir la réalité."
Pour tester vos connaissances et devenir un anti-McDo en puissance, rendez-vous au McQuizz...
P.-O. C., J. T. (décembre 1996)
A LIRE >> nos entretiens croisées - McDo contre la McLibel Support Campaign.
(1) MISE A JOUR:
Le procès depuis est arrivé à son
terme, en juin 1997. Le tribunal a reconnu le caractère diffamatoire
des tracts de L-Greenpeace, mais seulement sur certains points (les passages
sur l'exploitation commerciale des enfants, la souffrance des animaux et
la qualité sanitaire des produits ayant été jugé
plutôt conforme à la réalité...).
LE VERDICT EN LIGNE:
http://www.mcspotlight.org/case/trial/verdict/verdict0_sum.html
(2) Le mot "Libelle" est peu usité en français, mais le dico en parle comme un "petit écrit satirique à caractère diffamatoire".
lambda / arQuemuse
decembre 96 - reedition septembre 98
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