Ordonnances psychédéliques

UPDATE

Marijuana, THC - La France toujours allergiques au THC sur ordonnance (septembre 2002)


Les substances psychédéliques continuent de faire frémir les autorités médicales. Même si leurs propriétés sont reconnues séduisantes pour certaines applications, elles restent encore orphelines dans le domaine de la recherche, thérapeutique et pharmacologique. Le "renouveau psyche" sera scientifique ou ne sera pas.

lambda bulletin / j. thorel
1993-1995


En Californie, l'ecstasy va faire l'objet d'une nouvelle étude. Des sociologues chercheraient-ils à percer le secret des raves? Non, il s'agit d'une étude toxicologique menée sur l'homme pour faire de l'ecstasy un médicament. Une vingtaine de volontaires sains, de 21 à 65 ans, ayant déjà eu l'occasion d'avaler une de ces gélules hallucinogènes, vont se succéder dans le bureau du Dr Charles Grob, pédopsychiatre au Centre médical universitaire de Torrance, dans la banlieue de Los Angeles.Nom de code du principe actif: MDMA, pour méthylène-dioxy-méthamphétamine. Doses prévues: de 10 à 50 milligrammes, en alternance avec un produit placebo. Certains absorberont trois fois leur dose sur dix semaines et subiront ensuite des tests psychologiques. D'autres, à disposition pour un an, passeront plusieurs demi-journées sous des scanners et des électroencéphalographes, pour tenter de cerner la toxicité du MDMA sur les neurones humains.

Le Dr Grob n'est pas un savant fou. Il a reçu, en 1992, l'approbation de la Food and Drug Administration (FDA), l'administration fédérale du médicament, pour tester les propriétés antidouleur et calmantes du MDMA lors de cancers en phase terminale. L'exemple n'est pas isolé. Depuis cinq ans, la FDA a permis à cinq équipes de médecins et de psychiatres d'étudier les perspectives thérapeutiques de produits hallucinogènes qui, par ailleurs, restent prohibés - la plupart des substances "psychédéliques", aux Etats-Unis comme en France, sont classées "stupéfiants n'ayant aucune utilité médicale sûre" et "au fort potentiel de dépendance". En 1991, la FDA a notamment autorisé deux psychiatres de Baltimore à étudier sur l'homme l'effet calmant du LSD lors de psychothérapies. La décision a sonné comme une "renaissance", celle des études psychédéliques des années 60. Une époque où l'effet du LSD était testé sur la réinsertion des prisonniers, sur la créativité des artistes ou dans des "narco-analyses " et des psychothérapies sur des schizophrènes ou des personnes atteintes de névroses post-traumatiques. Au zénith de la contre-culture hippie, des hommes comme Aldous Huxley et Allen Ginsberg participent à ces expériences. Au début, rien n'était hors la loi.

Le LSD, sorti des laboratoires Sandoz en 1938, est vendu dix ans plus tard comme antidépresseur sous la marque Delysid (lire d'autres détails historiques). L'acide lysergique, son principe actif, est tiré de l'ergot de seigle, un champignon utilisé au XVI ème siècle comme analgésique et reconnu mondialement comme tel en 1908. Mais l'usage "récréatif" prend le dessus sur la médecine. Le LSD (cf. molécule ci-contre) devient un moyen de défonce facile parmi les étudiants. Les autorités s'affolent alors et vont interdire progressivement toute étude médicale de ces substances.

L'un des pionniers du mouvement psychédélique fut Timothy Leary (ci-dessous), un prof de psychologie radié en 1963 de Harvard pour "dérapages". Aujourd'hui, pour la plupart des médecins impliqués dans ce renouveau, Tim Leary reste l'homme du "discrédit", responsable du gel des études pendant trente ans.

"Je suis surpris que des chercheurs respectables m'accusent d'avoir causé la "mort" des études fédérales. La CIA a dépensé des millions pour étudier les enjeux militaires du contrôle du cerveau par des drogues chaotiques comme le LSD", se défendait-il dans une lettre qu'il nous avait fait parvenir pour les besoins de cet article, en février 1994.

Le gel des études psychédéliques s'est mondialisé. L'ONU classe ces drogues dans le tableau le plus répressif de sa convention sur les psychotropes de 1971. Cette prohibition médicale va s'enraciner: surtout ne pas laisser croire, en pleine répression anti-drogues, que certains de ces produits peuvent avoir une utilité pour la santé de l'Homme. Nul doute que le psychédélisme des années 90 se cherche une autre respectabilité.

"La différence, c'est qu'il n'y a plus aucune volonté de créer une contre-culture psychédélique. Les études se font aujourd'hui au grand jour", analyse Rick Doblin, président de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS), un groupe d'experts indépendants. Après tout, ce sont encore des substances interdites, et le droit de les étudier reste une dérogation. "En tant que praticien", explique le Dr Grob, "je me sens impuissant face à un malade en phase terminale, touché physiquement et moralement. Or ces drogues semblent apaiser la dépression tout en diminuant la douleur. Il est temps de se pencher, de manière responsable, sur les propriétés souvent uniques de cette classe de substances." Même pragmatisme au siège de la FDA.

"Les hallucinogènes ne posent pas plus de problèmes que les autres produits en cours d'évaluation", plaide le Dr Curtis Wright, en charge depuis 1989 d'un des postes clés du Centre de recherche et d'évaluation de la FDA. "Si un médecin croit qu'un produit psychédélique a une efficacité thérapeutique, nous devons l'autoriser à l'étudier, en respectant, bien sûr, les règles de santé et de sécurité. Ne laissons pas ces substances hors du champ de la recherche."

La FDA baisse sa garde aussi vis-à-vis de la marijuana. Bien que prohibée au même titre que l'héroïne, son principe actif, le delta-9-THC (tetrahydrocannabinol) est déjà un médicament, classé comme tel depuis 1991 par l'ONU. Aux Etats-Unis, le Marinol (des pilules de THC) est prescrit depuis neuf ans pour apaiser les nausées induites par une chimiothérapie et depuis décembre 1992 à des malades du Sida soufrant d'anorexie pour les aider à prendre du poids. De nombreux médecins sont convaincus que la marijuana "fumable" est encore plus efficace. A ce titre, la FDA vient d'autoriser le principe d'une étude comparée Marino/marijuana. Et puisque la fumée d'un joint risque d'être toxique pour des malades diminués sur le plan immunitaire, l'étude prévoit d'évaluer l'administration du THC naturel par pipe à eau. Certes, les instances fédérales ne donnent qu'un aval scientifique à ces études. Reste à convaincre les autorités locales, celles des Etats, responsables de la sécurité de leurs citoyens lors de telles expériences. Ensuite, l'étude débute avec l'aide d'argent privé. L'association de Rick Doblin a déjà donné 50 000 dollars pour la marijuana, 5 000 pour le LSD et 2 700 pour l'ecstasy.

D'autres molécules issues de plantes hallucinogènes font l'objet d'une étude clinique, au même titre que le MDMA. Comme la psilocybine (le principe actif des célèbres petits champignons hallucinogènes), ou un de ses dérivés, le DMT (diméthyltriptamine), qui posséderaient les mêmes effets calmants et analgésiques. Autre dérogation pour l'ibogaine, l'alcaloïde d'un arbuste africain, qui pourrait aider à combattre - paradoxe - la dépendance narcotique. La FDA a donné son aval en 1993 après que des toxicomanes américains eurent été traités aux Pays-Bas. L'ibogaine n'est pas inconnue en France. Au contraire. Etudiée à Paris dès 1901, la molécule sera prescrite à partir de 1938 comme dopant légal et sera même reconnue comme antidépresseur vers 1970... pour subir, peu après, le sort funeste des autres psychotropes "sans usage médical". "Regrettable", se lamente le Dr Robert Goutarel, ancien directeur de l'institut de chimie des substances naturelles du CNRS, l'homme qui a isolé l'ibogaine dans les années 50. En 1986, il avait tenté de convaincre le cabinet de Michèle Barzach, alors ministre de la Santé, de la nécessité d'approfondir les recherches sur l'homme. Ses dernières tentatives, l'an dernier, sont restées vaines.

Depuis la décision de la FDA, les autorités françaises n'ont pas changé de discours. "Globalement, la position américaine n'est pas aberrante, note, placide, l'un des membres de la commission des stupéfiants du ministère de la Santé. Un psychotrope n'est jamais totalement nocif on peut parfois en tirer un usage bénéfique. " Pourtant, à propos du Marinol, le cousin de synthèse du cannabis, l'Institut Pasteur n'avait pas jugé "assez concluant" le protocole approuvé par la FDA fin 1992 pour le prescrire dans des cas de Sida. Confronté à l'image trop négative de la marijuana, le laboratoire suisse chargé de sa promotion à l'époque avait dû baisser les bras. Quant aux récentes études sur l'ecstasy, elles restent méconnues des experts français du ministère de la Santé.
© EDJ / mai 1994.


  • La lettre de Tim Leary de février 1994.
  • Ergomania : une petite histoire croisée du LSD, entre Albert Hoffman et Tim Leary.



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