La SNCF frileuse à l'idée de laisser sur l'Internet les horaires de ses trains : le web fait là aussi de l'ombre a son serveur minitel.
Le serveur incriminé, Adminet, lancé voilà un an par un fonctionnaire du ministère de l'Industrie, animé depuis par de nombreux bénévoles et soutenu par une dizaine d'associations partenaires, s'est donné un objectif louable : servir le contribuable. Il reproduit, de manière officieuse, des textes administratifs, notamment ceux du Journal Officiel (JO) de la République. Des textes libres de droit, cela va de soi, qui peuvent donc être copiés et diffusés dans leur version intégrale sans faire de tort à personne. A personne? Si, car la télématique "officielle", comme le 3616 JOEL, ou autres 3617 JOELECO, diffuse ces mêmes documents pour des tarifs allant de 1,29F à 2,23F la minute (voire même 5,57F pour les 3628). Conséquence : Adminet, hébergé par l'école nationale des Mines, autre service de l'Etat, a du migrer cette semaine vers un serveur privé.
Inutile de dire que ce service est apprécié à l'étranger. Adminet offre en effet une version bilingue (français/anglais). Même s'il est difficile de connaitre l'impact réel du "Journal Officieux" sur l'ensemble du domaine "ensmp.fr" (celui de l'école des mines), les stats de ce dernier montrent que l'essentiel des connexions proviennent de l'étranger (Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon, Suisse, Suède ...). Sans oublier l'Afrique du Sud, l'Algérie, l'Egypte, le Kenya...
Certains ont le bras long. Nous avons pu apprendre que M. Sauvé, le Secrétaire Général du Gouvernement, est intervenu en personne pour qu'Adminet ne s'affiche plus sur le web comme un site trop "officiel". Le service d'information de Matignon (le SIG) n'a toujours pas répondu aux demandes de précisions des journalistes. Du coté de ORT, on minimise l'affaire. Même si un porte-parole nous a expliqué, avant de se raviser, "qu'Adminet allait recevoir des remontrances" de la part des services du Premier Ministre. Ce que résume l'équipe d'Adminet : "Des professionnels, habitués à diffuser l'information officielle contre rétribution, et qui supportent mal que des "amateurs", travaillant avec des moyens artisanaux, leur fassent concurrence."
La direction des Journaux Officiels, contactée également, reste suspendue aux conclusions d'une mission d'étude sur la mise en ligne de l'information juridique et administrative (la mission Gournay). De quoi préparer la relève, puisque la concession exclusive atribuée à ORT doit arriver à échéance fin 1996. Selon la revue spécialisée Infotecture, ORT risque de perdre son exclusivité de diffusion (au profit du CD-Rom, et, pourquoi pas, de l'Internet...) Comme nous le souffle une source aux JO (les vrais!), rien n'interdit la copie d'une loi ou d'un décret, sous quelque forme que ce soit. Future patate chaude pour le concessionnaire exclusif, OR Télématique : une équipe de limiers du Conseil de la Concurrence plancherait en ce moment sur la question. Et une vague libérale risque de souffler sur les banques de données administratives. L'enjeu final : la gratuité universelle des textes officiels de la République... Osera-t-on ensuite nous parler de privilège?
Lire aussi la suite de l'affaire : bulletin 2.05.
Contribuables français? Pas seulement. Même constat qu'avec Adminet : ce type de service intéresse aussi des visiteurs étrangers (futurs touristes, qui plus est, donc potentiels payeurs de TVA...), qui n'ont pas accès à notre merveille de 3615.
Mais il y a un bémol. Renseignements pris, le site s'est fait interdire officiellement pour des histoire de propriété industrielle : la technologie utilisée (un logiciel de recherche des horaires) est propriété de la SNCF, dont s'est servi un ancien thésard employé maintenant par le CNRS.
"Sur le site CNRS... eh bien je crois que le problème de copyright se pose, avec un logiciel et des données en quelque sorte "piratés" (la tolérance dont j'ai profité s'étant évanouie)", reconnait-il
Reste le fond du problème : la mise en ligne des horaires "gratuits" (ça profiterait à France Télécom, et bientôt aux fournisseurs avec les tarifs kiosque) semble d'une logique imparable via à vis du droit de chaque citoyen à consulter librement les horaires d'une société nationale. Après tout, il est déjà possible de réserver des billets d'avion... "Je crois savoir que des boites comme Thomas Cook reprennent sur support informatique tous les horaires (d'Europe d'ailleurs) à partir du support papier légalement vendu par la SNCF."
Ca va être dur de faire le ménage.