bulletin lambda 2.05

25 mars 1996


Aller directement vers l'article Adminet.
Aller directement vers l'article sur la Belgique.

Censurer l'intolérable? Résumé de l'audience du 15 mars

Avec l'aide des comptes-rendus de Stéphane Bortzmeyer et de Valérie Sédaillan (et sa Lettre de l'Internet Juridique).
Lire aussi l'annonce du référé et la réaction de l'AUI : bulletin 2.04.

La France a donc vécu son premier procès relatif au contrôle du contenu de l'Internet. Le 15 mars, au TGI de Paris, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) assignait en référé neuf fournisseurs d'accès (1) pour complicité de publicité de propos négationnistes (réprimé depuis la loi Gayssot). Procédure engagée avec un manque volontaire de concertation.

"L'Internet ne doit pas devenir l'Amérique latine des néo-nazis", a martelé Me Lilti, avocat de l'UEJF. "Les fournisseurs sont co-éditeurs (...), ils sont comptables de ce qui se passe derrière la porte qu'ils ont permis d'ouvrir", a-t-il dit, après avoir cité l'historien révisionniste Faurisson, extrait d'un message piqué via un FTP. L'avocat s'est aussi embrouillé en faisant référence à l'action de CompuServe en Allemagne, qui a, selon lui, coupé 200 forums néo-nazis (il s'agissait surtout de pornographie).

Du côté de la défense : "nous sommes fournisseurs d'accès, pas de contenu; et un contrôle à priori est impossible", ont-ils argumenté en bloc. Renater a voulu s'exclure du débat, en tant qu'administration (alors qu'il fournit les universités); et Compuserve a argué que ses clients se connectent sur le Net aux Etats-Unis. A noter que les membres de l'AFPI (2), association professionnelle, n'ont pas eu le loisir de rappeler leur décision de bloquer l'accès aux forums "moralement intolérables". Leur avocat commun a plaidé "l'irresponsabilité". Club-Internet (absent de l'audience, comme France Télécom) a aussi décidé, discrètement, de ne plus relayer des forums aux contenus pouvant être considérés comme illégaux en France. Décisions responsables, diront certains; surtout inutiles selon d'autres.

Mais après trois heures et demi de débats dans le cabinet exigü du président Marcus, l'audience s'est terminée en queue de poisson. Le juge a invité les parties à réfléchir sur l'opportunité d'une médiation. Médiation improbable, car il faudrait l'envisager avec tous les fournisseurs français (ils sont 91, sans compter France Télécom, qui a souvent été cité). Le juge a également évoqué le comité interministériel créé par François Fillon (histoire de botter en touche). "Des choses inquiétantes circulent sur le réseau", a-t-il lâché. Anecdote, révélée par un des avocats de la défense: à partir du Web de l'UEJF, on arrive à rebondir sur une liste de sites niant l'Holocauste... Impitoyable toile d'araignée.

Décision le 12 avril.

PS - A noter que le ministre allemand de la Justice et celui des Sciences et des technologies britannique ont déclaré inutile tout contrôle spécifique du contenu de l'Internet, par le vote de nouvelles lois. La Commission de Bruxelles, selon nos infos, prépare pour juin prochain un Livre Vert sur ces questions de "services en ligne, protection des mineurs et dignité humaine". A suivre...

(1) Renater, Eunet, Compuserve, Internet-Way*, Calvacom*, Francenet*, Imaginet*, Axone, Oléane. Les grands absents : Transpac, Grolier, Pressimage, SCT-Worldnet, et surtout France-Télécom.
(2) L'association dont les membres sont cochés d'une asterisque.


Adminet : un coup pour rien?

Le serveur administré par Christian Scherer, qui a fait parler de lui dans Libération (voir aussi le bulletin 2.03), est encore dans l'incertitude. (Rappelons que ce site fait de l'ombre, notamment, à la version minitel du Journal Officiel.) Hébergé depuis deux semaines par un site privé, le site ne comporte plus toutes les références du JO. Selon un décret de 1993 règlementant la mise en ligne du JO, l'Etat ne peut pas se substituer à un autre opérateur que celui détenant la "concession exclusive" (OR Télématique). Le fait que Christian Scherer est fonctionnaire (chargé de mission au ministère de l'Industrie) et qu'Adminet était hébergé par l'école des Mines de Paris faisait mauvais genre. Mais va-t-on laisser le projet s'envoler vers d'autres cieux, même si le serveur n'a plus aucun lien avec l'administration?

Nous avons appris de source gouvernementale que Scherer avait été contacté par son ministre afin de lancer un serveur Web interne. Carotte ou baton? Quelques jours après, nous apprenions qu'il n'était plus question de libéraliser le marché des banques de données juridiques d'origine publique. La mission Gournay, nommée par le gouvernement pour réfléchir à ces questions, viendrait en effet de rendre son verdict : le principe de la "concession exclusive" ne serait pas remise en cause. (Celle liant l'Etat avec ORT doit expirer fin 1996). Ce qui ne veut pas dire que les tarifs vont baisser. Mais encore moins que ORT va inciter l'Etat à faire un "JOWeb" officiel...


La Belgique a interdit la crypto grand-public; les notaires électroniques bientôt intronisés

Les internautes belges ont la gueule de bois. Deux papiers dans la presse (De Standaart d'abord, Le Soir le 13 mars ensuite) viennent avec douleur de réveiller une loi qui rend logiquement illégal tout moyen de chiffrement "non agréé". C'est dans la longue loi-programme de 1994 (votée pendant la trève des confiseurs, le 21 décembre) que trois articles passés en douce (202, 203 et 204) encadrent les écoutes et autres interceptions de télécommunications. En gros, d'après le résumé d'Alain Guillaume, le confrère du Soir qui a alarmé la Belgique sur une page entière, ces articles obligent Belgacom à collaborer avec la Justice pour intercepter les messages; et surtout interdit tout chiffrement "non agréé" par l'IBPT, l'équivalent belge de notre DGPT. Et préfigure le dépot de clés obligatoires. (Ouf? Les décrets d'application n'ont pas encore été divulgués...)

"L'idée n'est ni neuve ni étonnante. Elle part d'intentions louables -- empêcher les criminels de se cacher -- mais aboutit à des conséquences disproportionnées", note Guillaume. "Croit-on vraiment que maffieux, trafiquants et terroristes vont déposer leurs codes à l'IBPT?" Bienvenue au Club, chers amis Belges. Vous avez donc rejoint le clan français : chiffrement grand-public interdit.

Personne ne sait en Belgique qui va jouer le rôle de "notaires". Le groupe européen SOG-IS (18 nations) doit proposer, en accord avec chaque pays membre, que ces "tiers de confiance" rentrent dans les lois nationales. Ils garderaient une copie des clés pour les confier à la Justice.

En France aussi, le notariat électronique nous a été promis. Cela devrait faire voler en éclat l'interdiction actuelle d'utiliser PGP ou autres. Mais il faudra donc passer par un tiers de confiance. Il se pourrait que ces officines soient de droit privée. Mais aux dernières nouvelles, il faudra qu'elles soient "agréées" par l'Etat. Un rôle que l'on pourrait confier au SCSSI. Histoire de ne pas laisser ces agents dans le désoeuvrement? Sous le régime actuel, le SCSSI est chargé de l'étude des dossiers de "demande d'autorisation" (voir aussi notre dossier chiffrement).

Enfin, le key escrow à l'américaine est aussi sur le point de se légaliser. L'Encrypted Communications Privacy Act of 1996, d'abord pressenti comme libéral, inquiète les plus optimistes. Il vise d'abord à assouplir le régime d'exportation, libéralise le chiffrement individuel, mais sous certaines conditions : dépot des clés pour instaurer un régime légal de l'interception judiciaire. L'EPIC, groupe vigilant sur les atteintes à l'intimité numérique, indique que le texte est flou en interdisant notamment l'usage du chiffrement "licencieux", qui ferait obstacle à une enquête de police. Et une mesure a priori séduisante -- pénaliser les "escrow agent" qui utiliseraient leur pouvoir d'interception abusivement -- parait difficilement applicable. Le projet de loi est disponible sur le serveur de l'EPIC.


Back to netizen's home page. Retour vers la page d'accueil.