lambda bulletin 3.05

27 Aout 1997

LA LOUPE : chercher dans les archives du bulletin


Sommaire:

Corruption International : un guide mondial des pots de vin
Après CDA : l'ACLU dresse une critique au vitriol des logiciels de blocage de contenu
Cuba : les nouveaux franc-tireurs

 


LIBÉREZ LE GÉNÉRAL OBASANJO

Olusegun Obasanjo n'a sans doute aucune chance d'être libéré de prison. Cet ancien chef de l'État du Nigeria (1976-79), général en retraite, est enfermé depuis plus d'un an pour "vol de secret d'état", avec une peine de 15 ans de prison. La junte militaire de Lagos, dirigée d'une main de fer par le général Abacha, n'a pas apprécié que cet ancien militaire ait été bien vu auprès des Nations Unies. Obasanjo fait partie de la liste des 75 prisonniers de conscience dressée par Amnesty International l'an dernier.

Le Général Obasanjo s'est penché de trop près à la corruption qui gangrène les rouages administratifs de son pays. Il était le conseiller spécial et l'un des correspondants africains de Transparency International, une ONG qui tente depuis quatre ans de moraliser la vie publique dans tous les pays. Basée à Berlin et fondée par Peter Eigen, qui fut pendant 25 ans employé de la Banque Mondiale, Transparency publie tous les ans son "Corruption Perception Index" (CPI), dont la livraison 97 date du 31 juillet dernier. Il s'agit bien de "perception" dont chaque État fait l'objet par les investisseurs, les acteurs économiques, les banques, etc.

Sur les 52 pays recensés, le Nigeria du Général Abacha apparaît bon dernier du classement. Sur les 10 points de l'échelle (10 = perçu propre; 0 = perçu corrompu), le Nigeria récolte l'indice élogieux de 1,76. Derrière la Bolivie (2,05), la Colombie (2,23) et la Russie (2,27). Le Nigeria reste même grand champion d'une année sur l'autre, puisqu'il figurait aussi bon dernier du CPI'96. (La France est classée 20ème, avec un indice de 6,66, et ne devance que l'Espagne, la Grèce, la Belgique et l'Italie parmi ses partenaires de l'Union européenne, dont le Danemark, la Finlande et la Suède qui raflent les trois premières places.)

Depuis l'an dernier, Transparency International et l'African Leadership Forum ont lancé une campagne de pétition auprès du Secrétariat général de l'ONU pour libérer Olusegun Obasanjo. La branche américaine d'Amnesty a ouvert un service de pétition électronique.

Histoire de faire progresser l'acuité de ce type d'enquêtes, l'organisation de Peter Eigen et l'Université de Goettingen, en Allemagne, associés pour produire le fameux indice, viennent d'ouvrir un questionnaire en ligne pour donner à chacun l'occasion de contribuer à cette perception de la corruption, dans son pays ou ailleurs. Cela s'ajoutera aux autres études et sondages réalisées dans le monde sur la question, qui représente déjà l'ossature du CPI (World Competitiveness Yearbook de l'IMD-Lausanne, International Country Risk Guide de Political Risk Services (USA), Global Risk Service de DRI/McGraw-Hill, etc.). Et si vous arrivez à vous dégager 10 minutes pour y répondre, l'équipe d'universitaires vous donnera accès à une série de dessins de presse sur le sujet.

 

 


Frénésie technologique sur le filtrage et la signalétique

L'ACLU CRITIQUE LES LOGICIELS DE BLOCAGE

 

Le jeudi 28 août devait avoir lieu une importante réunion de l'Internet Content Coalition. Groupement d'intérêt composé d'industriels des services en lignes et des grands médias (de C/net à MSNBC, en passant par Sony et Warner), l'ICC se réunit pour évoquer leur politique en matière de "signalétique" des sites web comme de l'adaptation des logiciels de filtres.

Le journaliste David Noack (Media Info) a cherché à s'informer auprès de l'ICC et une porte-parole lui a répondu : "C'est une réunion à huit clos, les responsables s'exprimeront librement et nous espérons parvenir à un consensus - mais ce n'est pas ouvert à la presse".

Une attitude plutôt curieuse, surtout dans l'environnement tendu de l'invalidation juridique du fameux Decency Act, décapité par la Cour Suprême le 26 juin dernier (lambda 3.04). Suite à l'impossibilité législative de criminaliser les propos "indécents" échangés en ligne, les politiciens - Maison Blanche en tête -, poussés par le lobby des groupes puritains tendance 'family values', cherchent à trouver dans les système de "rating" et de filtrage des sites une solution miracle au contrôle du contenu : "self-rating" (auto-classement), "third-party rating" (style signalétique des films télé), et "user-based blocking software", les logiciels de filtres. L'administration Clinton a même créé un site spécialement dédié à ces solutions technologiques, Net Parents.

L'analyse la plus clairvoyante - partagée de longue date par le lambda, voir l'édition 2.13 à propos du site Peacefire - sur les dérives de ces solutions miracles, on la doit à l'ACLU, l'American Civil Liberties Union qui fut le principal plaignant dans la bataille contre le ministère de la Justice pour invalider le CDA.

Pour l'ACLU dans son rapport intitulé Is Cyberspace Burning?, l'adoption aveugle de ces solutions d'auto-censure ou d'auto-classement est un nouveau danger pour la liberté d'expression. Elle fait l'analogie avec la nouvelle de Ray Bradbury, Farenheit 451, dans laquelle la censure est telle que les livres sont interdits et brûlés. 451°F, c'est la température de combustion du papier. "Dans le monde virtuel, il semble aussi simple de censurer les écrits polémiques en isolant les recoins les plus reculés du cyberespace, grâce aux logiciels de blocage et de classification ("using rating and blocking programs"). Cette nouvelle version de Farenheit 451 va-t-elle devenir la température de combustion du cyberespace?"

Dans sa critique en règle de cette logique, l'union des libertés civiles dresse six raisons de dénigrer le princnipe de "l'auto-classement" des sites :

Finalement, conclut l'ACLU, la solution d'étiquettage par une tierce partie aura les mêmes défauts subjectifs et impossible à mettre en oeuvre sur tout l'Internet. Quant aux logiciels de contrôle parental, destinés à laisser à l'usager le pouvoir de censure, c'est aussi impraticable dans la mesure où les sociétés refusent de divulguer le contenu exact de leurs "listes noires", quels sites sont classés "explicites" et d'autres pas. Ces informations sont considérées comme stratégiques par les sociétés en question.

Avec la mort du CDA, "nous avons étouffé un feu qui n'était pas encore vraiment visible et inquiétant. La prochaine fois, conclut l'ACLU, le feu sera sûrement plus difficile à détecter - et à éteindre."



CUBA ET SES FRANCS-TIREURS

 

Un récent article, publié dans le Christian Science Monitor et signé de la Havane, met en lumière les contrôles drastiques mis en place par le régime cubain dans l'utilisation de l'Internet.

L'histoire commence par Raul Gutierez et Miguel Herrera, chercheurs en informatique à l'Université de la Havane. Ils font partie de la centaine de chercheurs autorisés à utiliser le courrier électronique universel - seulement le courrier. L'accès au Web et à sa grande bibliothèque forcément contre-révolutionnaire leur est interdite. Pas de problèmes, explique le journaliste David Lipschultz, Gutierez et Herrera ont trouvé la combine : ils demandent aux différents webmasters des sites ayant de l'intérêt de leur envoyer en fichier attaché une copie du code source des pages web désirées. Ils les lisent ensuite en local.

Cette petite bidouille ne cache pas la véritable crainte officielle que procure les routes de l'info pour le régime de Castro. L'an dernier l'APIC, l'une des agences de presses indépendantes à pouvoir encore faire son travail sur l'île, révélait ce qu'on pourrait appeler "la reprise en main d'octobre" : création d'un fournisseur d'accès étatique, tutelle des télécoms et tarifs prohibitifs. L'APIC rapportait les propos de Carlos Lague, "membre du politburo" : prendre les mesures nécessaires pour se "protéger et se défendre contre les risques" de l'Internet.

L'ouverture en janvier de la vitrine officielle, Cuba Web, laisse apparaître un annuaire des emails autorisés -- nous en avons compté un millier, généralement destiné à un seul département ou administration. Les tarifs du CENIAI, le prestataire d'État ($ 260 / mois pour le WWW, $ 67 pour un email) reste prohibitif face aux $5 ou $10 de salaire moyen, et tout accès reste de toutes façons inféodé à une autorisation gouvernementale.

Les nombreuses dépêches des six agences de presse libres, consultables sur les serveurs américains de la diaspora (Cuba Net, Cuba Free Press) n'informent que les expatriés ou les étrangers. Reporters sans Frontières a comptabilisé une quarantaine d'arrestations ou de menaces sur les journalistes indépendants depuis le début de l'année.



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