bulletin lambda 2.09

18 juillet 1996


Coups de ciseaux dans la loi Fillon?


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La loi Fillon sur le grill constitutionnel

Dans quelques jours, les sages de la Constitution vont peut-être porter un coup de ciseaux fatal aux dispositions de la loi Fillon sur le contrôle de l'Internet. Le 26 juin dernier, le groupe socialiste au Sénat a en effet déposé un recours devant le Conseil Constitutionnel. Avec l'espoir, notamment, de censurer les articles qui risquent précisément d'instaurer un contrôle administratif à l'expression qui circule sur l'Internet : articles 43-1 à 43-3 de la loi du 7 juin dernier (texte intégral sur le site des télécoms).

Ces articles, inscrits au dernier moment sous forme d'amendement, obligent les fournisseurs d'accès à mettre à disposition de leurs clients des logiciels de "contrôle parental", et instaurent un comité chargé d'examiner le caractère délictueux des services en ligne (Comité supérieur de la télématique, placé sous tutelle du CSA). "La procédure (...) peut conduire à entraver la libre communication des pensées et des opinions, voire à instituer un système d'autorisation préalable", peut-on lire dans le recours mis entre les mains des 9 sages de la Constitution.

Le recours du PS n'est pas étranger aux efforts de l'AUI, l'association d'usagers créée récemment en France. Le cabinet de Claude Estier, patron des socialistes du Sénat, ne s'en cache pas, puisqu'il a annoncé le dépot du recours dans une lettre à la présidente Meryem Marzouki. Quant à l'AUI, elle prèfère rester discrète sur les portées de son travail de lobbying. D'autres groupes politiques ont été contactés (y compris le PC, qui n'a fait que s'abstenir sur ce texte). Mais seul le PS a semblé y trouver son intérêt.

Le recours ne concerne pas seulement "l'amendement Fillon", l'art. 43 (il est aussi question de remettre en cause l'Autorité de régulation des télécoms, chargée de surveiller la concurrence qui va s'instaurer en 1998). Mais sur le chapitre Internet, deux points précis risquent de faire chuter les bases mêmes de la création du CST.

Pourtant, le CSA fonctionne déjà comme ça aujourd'hui. Reste à savoir si les Sages pourront -- comme ce fut le cas aux Etats-Unis après l'invalidation du CDA -- faire la différence entre les obligations d'une chaine de télé (qui peut contrôler ce qu'elle diffuse), un site Web et les discussion de forums basés sur les principes de la liberté d'expression. Bref, retour au point de départ : peut-on règlementer les propos d'une émission du style Bas les Masques comme ceux qui circulent sur fr.soc.divers? Le Droit français semble se diriger vers le même dilemme que les juges américains: considérer l'Internet comme autre chose qu'un simple média unidirectionnel.

La décision du Conseil était attendue un mois après le recours. Soit avant la fin juillet.


Transpac joue au prude

"Transpac ne saurait etre tenu pour responsable du contenu des newsgroups relayés vers vous, ni de l'image qui pourrait ensuite en être fait." Ce communiqué signé Transpac (j'ai laissé les fautes d'orthographes), la filiale réseaux de France Télécom, est tiré d'une proposition de contrat qui a circulé en juin auprès des principaux fournisseurs d'accès. Une tentative de l'opérateur de se dédouaner par clauses commerciales interposées. Un contrat que Transpac demandait de retourner daté et signé, avec les remerciements de la maison. La suite vaut aussi son pesant de cacahuètes :

"Transpac satisfait une demande expres qui lui est exprimée de transporter des informations d'un point a l'autre, informations qu'elle n'a pas à connaitre pour réaliser la fonction qui lui est demandée."

Valérie Sédallian, avocat qui anime la Lettre de l'Internet Juridique, estime que même avec ce type de clause, en cas notamment de poursuites pénales, cela ne peut pas dégager la responsabilité de l'opérateur.

Tout le monde se souvient des deux gardes à vue des dirigeants de WorldNet et FranceNet à propos d'images pédophiles captées dans les newsgroups. A l'époque, Transpac, qui stocke aussi le "feed" sur ses disques durs, n'était pas du tout à l'abri d'une perquisition. Alors les juristes ont cogité. D'où cette lettre, parvenue par e-mail dans la boite des FAI, qui poursuit sur un ton plutôt vindicatif:

Afin d'eviter tout possible malentendu, nous vous demandons de bien vouloir reprendre les quelques phrases suivantes dans votre demande: (sic) "Nous nous engageons :
- a ne pas donner acces a des services contraires aux lois et reglements en vigueur,
- a ne pas faire, et a ne pas representer, des forums de discussion qui seraient contraires aux lois et reglements en vigueur,
- a ne pas realiser, directement ou indirectement, de promotion sous quelque forme ou moyen que ce soit, ayant trait a des services ou a des forums de discussion contraires aux lois et reglements en vigueur.
Au cas ou des poursuites pénales seraient engagées à notre encontre à l'initiative du Ministère Public en raison du service offert, ou dans l'hypothèse ou une publicité de quelque nature que ce soit ferait apparaitre qu'un service que nous proposons est interdit par les lois et réglements en vigueur, nous reconnaissons la faculte à France Telecom Transpac d'interrompre son propre service sans que cela ouvre droit à une quelconque indemnité."

Clauses visiblement abusives. La dernière sous-entend que de simples "poursuites" pénales peuvent inciter l'opérateur à couper ses lignes sans indemnité, et surtout sans attendre aucune décision de justice--et la présomption d'innocence? Aux dernières nouvelles, Transpac aurait abandonné cette proposition. Mais le 2 juillet, ce vrai-faux contrat circulait encore entre RAIN / Transpac et tout fournisseur désirant se renseigner sur le feed de news..

Pour détendre l'atmosphère, sachez que ce courrier a d'abord été transmis à la rédaction de Planète Internet par FranceNet, un des membres fondateurs et aujourd'hui président de l'AFPI, le groupements de FAI qui compte maintenant plus de 20 membres. Dont France Télécom Interactive.


Chiffrement & politique : discussions bloquées à l'OCDE

Le "club des 24" nations les plus industrialisées, l'OCDE, a du mal à accorder ses violons sur les harmonisations à apporter en matière de sécurité et de chiffrement (lire les éventuels communiqués officiels de leur groupe de travail sur la sécurité).

Les 26 et 27 juin dernier, le secrétariat général réunissait les spécialistes nationaux à Paris. A la clé : s'entendre sur les régimes de tiers de confiance, qui gèreront les clés pour le compte des instances judiciaires. Avant cette réunion, une porte-parole disait à la presse qu'un communiqué serait publié sur la décision qui était censée déboucher. Mais après coup, il apparait que les discussions ont été bloquées. Jusqu'à une prochaine réunion prévue fin septembre.

Des sources précisent que le bloc des "durs" -- États-Unis, France et Royaume Uni -- militent pour ce régime de libéralisation sous condition, avec copie des clés pour laisser la justice intervenir ("the key escrow bloc", peut-on les appeler). En revanche, les pays Scandinaves en Europe et le Japon refusent tout contrôle de ce type sur les communications internes aux entreprises et aux secrets industriels. L'Allemagne serait resté indécise. On indique même que les milieux du renseignement Américains tentent, par le biais de l'OCDE, de faire passer leur propre politique qu'ils ont du mal à imposer devant leur opinion publique et leurs industriels. "C'est du blanchiment de politique", indique un observateur.

Notons que l'organisme oméricain EPIC fait partie des groupes indépendants consultés par le secrétariat général de l'OCDE (Mark Rotenberg, le directeur, fut convié à venir à Paris). Mais l'EPIC ne préfère pas communiquer pour l'instant, laissant sa chance à la prochaine réunion de septembre.


RAPPELS : Se reporter aux bulletins suivants pour les affaires de liberté et de censure (2.01, 2.04, 2.05, 2.08 sur la loi Fillon, ainsi que l'affaire de Compuserve en Allemagne (décembre 1995).


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