bulletin lambda 2.10

19 août 1996


La tentation du contrôle de l'Internet censurée en France

Lire aussi:
  • Singapore invente le Proxy Censeur
  • Crypto : offensives du G7 et de l'Union européenne sur le chiffrement sous conditions.

    Les Sages ont tranché sur la loi Fillon.

    Le Conseil Constitutionnel a suivi dans ses grandes lignes le recours des sénateurs du PS contre la loi du 11 juin 1996 relative à la Réglementation des Télécommunications, contre les dispositions instituant le CST comme organe de contrôle des services en ligne et des forums Internet (lire lambda 2.09). Mais il n'a retenu que l'article 34 de la Constitution pour censurer 2 articles sur 3:
  • "Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques; qu'il appartient au législateur d'assurer la sauvegarde des droits et des libertés constitutionnellement garanties; que s'il peut déléguer la mise en oeuvre de cette sauvegarde au pouvoir réglementaire, il doit toutefois déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires;" (...)
  • "Considérant que la loi [du 7 juin] a confié au Conseil supérieur de la télématique le soin d'élaborer et de proposer (...) des recommandations propres à assurer le respect par certains services de communication de règles déontologiques, sans fixer à la détermination de ces recommandations, au regard desquelles des avis susceptibles d'avoir des incidences pénales pourront être émis (...); qu'ainsi le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution".
  • BILAN:

  • les articles 43-2 et 43-3 ont été censurés. Donc le CST n'a plus lieu d'être, et avec lui ses "avis" et "recommandations" sur la déontologie des services en ligne. Le 43-2 indiquait les conditions de saisine du CST et ses conséquences, qui pouvaient mener à des poursuites pénales.
  • l'article 43-1, sur les systèmes de contrôle d'accès, est maintenu : tout service télématique (y compris ceux du télétel -- c'est bien le plus révolutionnaire!) devra permettre aux clients d'en restreindre l'accès ou de les sélectionner.
    Cet article s'applique aussi aux services Télétel et Audiotel. C'est peut-être la conséquance la plus importante de la loi ainsi amputée : depuis les prémices de la télématique française, France Télécom et les éditeurs n'ont jamais pris l'initiative de laisser aux parents le soin de contrôler l'accès aux services. Préférant réguler le secteur grâce à un Comité Supérieur de la Télématique (!), qui agit en maître moralisateur depuis 1993 sans avoir jamais imposé de telles obligations sur les éditeurs.

    L' "amendement Internet" de la loi Fillon a donc été bel et bien précipité. Un communiqué de François Fillon a pris acte, un peu amer, de la décision du Conseil, puisque les services du ministère préparaient des décrets d'application sur les conditions de contrôle du CST, à l'aide notamment du rapport commandé à Mme Falque-Pierrotin. Mais selon M. Fillon, ce n'est que partie remise : "Je ferai d'autres propositions conformes à l'avis du Conseil Constitutionnel."


    Singapour : le proxy qui tue

    Le principal fournisseur d'accès de Singapour, SingNet, vient de demander à ses clients de désormais utiliser un système de cache (le proxy) pour accéder au WWW. Les joyeux internautes ont jusqu'au 14 septembre pour reconfigurer leur navigateur. Ce proxy sera programmé pour "couper l'accès aux sites inscrits dans la liste noire fournie par la SBA", la Singapore Broadcasting Authority.
    "TOUS les clients de SingNet seront contraint de se connecter sur le serveur proxy de SingNet d'ici au 14 septembre 1996, sans quoi vous ne serez pas en mesure d'accéder au Web (...). Cette décision s'applique à tous les clients dial-up, RNIS, ou par LS", déclare le fournisseur d'accès sur son site.
    Le 11 juillet, le gouvernement de Singapour avait pris des mesures pour encourager "l'usage responsable de l'Internet" (sic), en régulant "le contenu qui pourrait entraver l'ordre moral, la stabilité politique et l'harmonie religieuse de Singapour". La SBA encourageait ses concitoyens à "l'identification de sites tendancieux (objectionable) afin de laisser propre le cyberespace (to keep cyberspace clean)". La SBA avait même ouvert une ligne de téléphone gratuite pour encourager cette délation. Et ouvert son site pour vendre la nouvelle loi.
    "Nous avons beaucoup à apprendre de l'expérience de Singapour", a dit récemment un officiel chinois. La Chine a contraint tout utilisateur à se déclarer auprès des autorités, et a déjà instauré une sorte "d'Intranet local" grâce à des systèmes d'analyse de traffic pour contrôler ce qui circule à partir de son sol.


    Crypto : offensive de la Commission Européenne et du G7

    La division "sécurité de l'information" (Infosec) de la DG-13 à Bruxelles, vient de lancer une série de "travaux préparatoires" en vue de réguler l'usage du chiffrement. Une décision attendue depuis l'an dernier, lorsque la presse avait rapporté en septembre 95 la volonté de la Commission d'inciter les pays membres à instituer le système "key escrow" ou de "tiers de confiance". Système qui obligerait citoyen ou entreprises résidentes à laisser leurs clés en dépot à disposition de la Justice.

    Le plan annoncé par la division Infosec propose de lancer des expériences en vue "d'identifier, de définir ou de vérifier ... les aspects opérationnels, techniques, réglementaires et légaux afin de déduire l'efficacité, la gestion et l'acceptabilité des services de tierces parties de confiance". Ce sont des travaux préparatoires pour tester un réseau européen de tiers de confiance (ETS).
    La Commission indique que des appels d'offres ont été lancés pour tester les méthodes, et que les travaux pourront commencer dès janvier 1997.

    Néanmoins, certaines sources européennes indiquent que ces "travaux préparatoires risquent de servir à imposer la technique du key escrow". Rappelons que les USA tentent d'imposer le principe dans le cadre des discussions de l'OCDE (club des 27 pays les plus riches), alors que la France et le Royaume-Uni ont ouvertement déclaré qu'ils créeront sur leur sol des TTP. Mais le Japon, l'Australie, les pays nordiques comme la Suède, la Finlande et le Danemark se sont dernièrement déclarés hostiles à une telle politique, craignant d'instaurer un système d'écoute généralisé.

    A noter que le 30 juillet le groupe du G7 a voté une déclaration de principe visant à "accélérer les consultations sur le chiffrement qui donnerait, quand nécessaire, l'accès légal des gouvernments aux données et communications de manière à enquêter sur les actes de terrorisme, tout en protégeant l'intimité des communications légitimes." D'autres dispositions plus restrictives ont ont failli être imposées sous la pression américaine.


    A noter qu'en France cette décision du G7 a servi de baptême du feu à Citadel (Citoyens associés pour la défense des libertés), qui se présente comme la "cousine française" de l'EFF américaine. Bon vent.


    RAPPELS : Se reporter aux bulletins suivants pour les affaires de censure antérieures (2.01, 2.04, 2.05, 2.06, 2.08, 2.09 et en 1995 l'affaire de Compuserve en Allemagne.
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